Coup de frais
Il y a des matins comme cela, où les informations s'enchaînent sans que l'on y prenne vraiment garde, mais qui à un moment ou un autre, finissent par vous saper le moral…
Ce fut le cas il y a deux jours. Une réunion informelle des ministres de l'agriculture s'est réunie pour réfléchir à l'avenir de la politique agricole commune. Malgré la crise que nous connaissons depuis un peu plus d'un an, les positions de chaque pays n'ont pas évolué. La ligne défendue par un certain nombre de pays prépare en réalité la fin de la PAC. Plutôt que d'augmenter le financement de l'Europe en mutualisant d'autres politiques, on veut faire des économies budgétaires en supprimant la seule politique quasi commune.
Entre deux tasses de café, je n'ai pu m'empêcher de dire Mme PH que j'avais beaucoup de mal à me motiver en ce moment pour mon travail. La crise FCO, la remise en question de la PAC rendent illisibles l'avenir proche de notre métier. Entre la mise de taureau et le moment du premier vêlage, c'est-à-dire pour faire une vache, il faut quatre ans. Comment peut-on investir sans avoir quelque assurance pour l'avenir ? J'ai des projets pour améliorer l'exploitation afin qu'elle me conduise à ma retraite. Je voudrais permette sa continuité par la reprise éventuelle par un jeune. Ce projet est même relativement simple.
Mais la crise financière actuelle ne permettra-t-elle d'accéder aux crédits ( déjà plus chers) indispensables pour mener à bien cette modernisation ? De plus, ne sachant pas quelles vont être les conséquences réelles de la FCO, je suis incapable de prévoir quoi que ce soit en termes de ventes d'animaux ! Alors si en plus, on remet en cause les subventions venant de la PAC, j'avoue ne plus savoir dans quel sens aller...
Une étude récente sur notre département, montre qu'en rémunérant les personnes à un SMIC + 10 %, le prix de revient du kilo de viande avant d'être découpé ( c'est-à-dire en carcasse ) dépasse largement les 5 €. Or, les animaux se commercialisent aux alentours de 3 € ! La différence est donc comblée par les subventions… Voire pour les gens qui ont des difficultés par l'abandon de tout prélèvement c'est-à-dire de toute rémunération du travail. Dans un tel contexte, supprimer ou réduire les subventions revient à condamner bon nombre d'exploitations.
Vous comprendrez que devant tant de problèmes et d'incertitudes, avoir le cœur à l'ouvrage n'est pas facile. Finalement, je suis allé travailler sans radio. J'ai réparé les drainages. En période de sécheresse, les racines descendent dans les tranchées et profitent du moindre petit trou pour s'engouffrer dans les tuyaux... C'est impressionnant de trouver un enchevêtrement sur 2 ou 3 m de long qui bloque complètement le passage de l'eau. Retrouver le tuyau à plus d'1 m de profond, puis trouver l'endroit du bouchon est un exercice qui requiert beaucoup d'attention... Une bonne façon d'oublier les soucis et d'essayer de se dire que tout ce travail n'est pas vain...
À Mme PH qui ne savait pas trop comment me remonter le moral, j'ai simplement dit que je n'étais pas seul dans ce cas-là et que je devrais certainement réfléchir différemment mon exploitation rapidement. Il m'arrive parfois de me dire que je devrais démissionner des dernières responsabilités professionnelles et chercher un petit temps partiel complémentaire... Mais ai-je vraiment des compétences à proposer sur un marché du travail qui rejette déjà les cinquantenaires ? Suis je condamné à tenir jusqu'à la retraite ?