Sursaut en attendant la retraite ?
A partir de quel âge sent on le poids des années commencer à peser au point de vouloir arrêter ? Je ne suis pas certain que cela corresponde à un âge, je dirai plutôt à un état d'esprit, un contexte, une période... !
La discussion courre sur le sujet ! Premier enseignement, avant la cinquantaine, ce n'est pas une préoccupation et c'est mieux ainsi ! Ensuite, tout dépend de ce que l'on fait ! Il y a deux ans, je vous aurais répondu sans hésitations que je n'y pensais jamais ! Pourquoi cette année , cela me vient il de plus en plus à l'idée ?
Je ne pense pas que cela soit lié à l'âge, Mme PH, bien que plus jeune que moi, est passionnée par son métier, elle ne cesse de progresser en faisant des formations et en passant des examens ! Elle a acquis une expérience qui lui permet de mettre en pratique presque immédiatement tout ce qu'elle apprend ou de relier la nouveauté à des cas déjà rencontrés ! Moi, je n'ai rien de cela ! Les rencontres professionnelles sont souvent ennuyeuses, parfois entrecoupées par un exposé qui décoiffe un peu et permet de se mettre en perspective ! Le reste est souvent une vulgarisation de plus en plus pénible de règlements, sans saveur et rébarbative, imposée sans grand talent ! Difficile dans un tel contexte de se projeter dans l'avenir, d'imaginer de nouvelles techniques enthousiasmantes, de foncer dans l'inconnu... Depuis quelque temps, j'insiste sur ce côté pesant entourant tout projet ! Bien sûr, il y a déjà le problème du financement mais maintenant se greffe à tout projet, une tonne de dossiers qui incitent plus à se recroqueviller qu'à se dépasser ! Pour la première fois, mon métier me pèse un peu, manque de sel, de piquant...
Je me suis déjà ici, posé la question de changer de tracteur ! J'ai avancé un peu depuis... Tous mes vieux tracteurs, encore en état de marche donc de rendre service à d'autres exploitants, n'ont plus de valeur en France ! " C'est trop compliqué ou trop cher de les remettre aux normes pour les revendre, on préfère se priver de marché et ne vendre que du neuf ou du très récent ! S' il arrive quelque chose, nous sommes responsables ! Par contre, on vous donne une adresse en Pologne, ils viendront tout vous prendre..." Me voici donc condamné à vendre à des polonais ou à donner dans une casse ! En soi, cela ne me gêne pas mais me fait poser question sur ce gaspillage énorme et ses répercutions sur le prix de revient ! Mais au delà, se pose donc la question de réussir la vente puisqu'il n'y a pas de reprise et de réussir à trouver ensuite l'occasion qu'il me faut ! Car il reste acquis que je n'ai absolument pas les moyens de me payer un neuf ! C'est dommage mais c'est ainsi !
Autre exemple, il y a deux mois, l'obtention d'un crédit relevait du parcours du combattant ! Maintenant, cela semble un peu plus facile ! Mais que penser d'un banquier poussant brutalement à la dépense ? Je voudrais poser la question autrement : Si un même banquier, chez un client qu'il sait prudent en gestion, accorde une ligne de crédit de X et que 2 mois après il pousse à doubler la ligne parce qu'il sait que le dit client se serrera la ceinture plutôt que de ne pas honorer ses dettes, que penser de la chose ? Moi, cela a tendance à me crisper au sens où je me dis qu'on me force un peu et que je ne suis pas sûr de trouver dans l'avis du banquier la certitude de ne pas faire d'erreur et de me lancer dans une opération rentable ! est ce qu'on prête parce qu'on estime que je présente assez de garanties ou parce que mon projet est viable ? Remarquez, les arguments qui suivent, s'entendent... Dans le cas du tracteur, entre les réparations et les assurances, je vais "amortir" une bonne partie de l'investissement et ...
Le "et" est ce qui me tracasse le plus ! "Et vous pensez prendre votre retraite dans combien de temps ? Vos vieux tracteurs ( c'est moi qui ai soufflé) ne tiendront pas jusque là, en investissant vous êtes sûr d'avoir encore quelque chose au moment de céder ... Et vous en aurez profité avant ! " Il faut reconnaître que l'argument est de poids , imparable ! Mais il a également un revers ! Pour la première fois, je n'envisage plus un choix pour ma carrière mais en perspective de ma fin de carrière ! Un vrai choc tout de même ! Je passe du stade de moyen de produire à celui de revendre ! Remarquez, il n'est pas anormal de réfléchir à la continuité de l'exploitation, je n'avais jamais perçu sa proximité comme cela !
La discussion tourne ensuite sur le sujet ! Je ne sais pas qui prendra ma suite ! PH fils ou autre ? Vous ne me connaissez pas pour la plupart, mais si c'est le cas, vous imaginez la vitesse à laquelle tout cela a tourné dans ma petite tête ! Car autant l'enjeu du matériel est assez facile à résoudre autant celui des bâtiments d'élevage et des terrains est autrement plus délicat !
Les terrains ? Je ne suis pas trop inquiet... Il y aura sans doute toujours une solution ! La vraie question est celle des bâtiments ! Ils sont aux normes pour faire de l'élevage ! Mais il y a deux problèmes : Certains ont une durée de vie de 20 ans à 30 ans maxi, les autres sont de vieux bâtiments dont j'ai adapté l'utilisation ! Ils font partie de la ferme initiale , sont contigus à la maison d'habitation ! Soit ils gardent une fonction agricole et font perdre de la valeur à la maison ! Soit ils restent avec la maison, lui donnant de la valeur mais obligeant à construire leur équivalent pour continuer la ferme ! Donc je suis devant un choix cornélien : Est ce que je construit pour rendre les bâtiments louables à l'avenir pour un éleveur et là encore en bénéficier d'ici là ? Où est ce que je ne bouge plus , termine ma carrière comme cela et ne loue que les terrains à ma retraite ? Ce qui voudrait dire alors démolir les plus récents car l'entretien coûterait trop cher ! Économiquement, les deux cas sont jouables ! Mais où en sera l'élevage dans 8 à 12 ans ?
Je ne suis plus dans une simple logique d'investir pour mon activité professionnelle mais également dans la perspective de ma succession ! Cela m'a fait un choc ! Pour la première fois, j'ai l'impression de décider quelque chose qui n' engage pas que moi ! Pour compliquer le tout, se pose le problème de la maison, elle est imbriquée dans la ferme ! Resterons nous dans notre maison aménagée au fil de notre vie ou devrons nous partir ? Si nous restons, se posera le problème pour un locataire des bâtiments de ne pas être sur place ! Si nous partons, nous laissons un lieu auquel nous sommes très très attachés !
Déjà , je pense organisation du travail pour tenter de limiter au maximum l'activité de la ferme dans la cour devant la maison ! Ce n'est pas aussi facile que cela ! Cela fait des siècles que cela se faisait comme cela !
Voilà donc comment insidieusement, l'idée de la retraite est arrivée ! Vous ajoutez une dose de morosité ambiante en élevage avec des perspectives peu claires, une situation financière très très difficile, un hiver qui en est enfin un mais qui au bout de 8 semaines commence à peser sur l'organisme... Et ce qui paraissait évident devient porteur de doutes ! En cela mon vécu rejoint celui de tout décideur en période de crise : L'angoisse du lendemain, l'incertitude des perspectives, l'absence de ligne claire, l'interférence de décisions administratives voir de choix politiques intempestifs ( réforme PAC, normes d'élevage...) rendent prudent ! Un moment j'ai envie de foncer, l'instant d'après je me raisonne dans un excès de prudence ! Pourtant, l'avenir appartient aux ambitieux ( au bon sens du terme ) !