Blessé et inquiet !
Depuis la fin de semaine, le montant des subventions individuelles, touchées en 2007 par tous les agriculteurs de France sont disponibles sur Internet ! Imaginez un instant ce que peut ressentir un paysan en lisant toutes les réactions sur les forums liés à la parution dans les journaux nationaux des articles commentant ces chiffres ! Pour la plupart, elles portent un jugement définitif, sans discernement...
Un lecteur attentif des articles pourraient faire remarquer qu'il est un peu surprenant de découvrir que les plus gros bénéficiaires de la PAC en France, ne sont pas des agriculteurs ... Une réflexion plus approfondie permettrait aussi de relativiser un peu...
Depuis la réforme de la PAC, et pour être honnête, depuis avant la réforme pour une partie, je touche des subventions ! Je ne peux en quelques lignes expliquer les différentes politiques agricoles... Pour raccourcir, ces subventions me sont versées pour produire des animaux, en respectant un certain nombre de critères d'hygiène, d'entretien du territoire ( maintien des 10 km de haies de la ferme par exemple ) et de plus en plus écologiques ! En contre partie de ces aides , ce que je pense être une erreur d'ailleurs, toute intervention sur les marchés a été supprimée ! En clair, je dois produire sans aucune garantie de prix sur mes ventes ! Ainsi, depuis 20 ans, le prix de vente de mes vaches n'a pas bougé ! ( cf. le rapport de 50 millions de consommateurs...) Les producteurs de blé sont logés à la même enseigne ! Si le cours du blé a flambé pendant quelques mois ( 260 €/ql en hiver 2007-2008 ) suite à la spéculation ignoble de quelques banquiers sans scrupules, sur une période longue, le prix du blé ( aux alentours de 130 €/ql aujourd'hui ) baisse assez régulièrement au point qu'il représente moins de 8% du coût d'une baguette !
On devrait donc s'interroger sur les vrais gagnants de la PAC qui ne sont peut être pas les bénéficiaires des subventions agricoles, ni les consommateurs mais...
Mais revenons à la ferme ! Vous imaginez bien, quand même, que les coûts ne sont pas restés stables pendant 20 ans ! En réalité, sur ma ferme, ils ont augmenté de façon constante , et plus encore au moment des crises comme l' ESB ou les sécheresses... Les subventions ont joué leur rôle, elles sont dans un premier temps venues compenser le différentiel créé par ces évolutions différentes entre prix de vente et charges, ce malgré des gains de productivité ! Ce n'est pas de l'argent de poche ou un salaire : Les subventions sont des recettes que nous intégrons dans les comptes au même titre que les ventes... Elles servent à payer les charges et sont imposables aussi bien pour les prélèvements sociaux que sur les revenus ! Et nous vivons avec le reste ! C'est pour cela que nous pouvons être au "SMIC" en touchant des subventions du double de ce SMIC ! Par exemple, sur le département, on a calculé que le prix de revient d'un kilo ( bovins viande ) était de 5 € fin 2008 alors que les animaux étaient payés 3,2 € en 2008 et sont tombés à 2.7 € cette année ! La différence doit donc être compensée par les subventions. Depuis la FCO et les problèmes de marché liés, l'inflation du prix des aliments et autres produits ou des services indispensables, cela ne suffit pas ... Les éleveurs paient en retard les factures et mettent en danger les filières d'approvisionnement... Maintenant, certains commencent de décapitaliser, c'est à dire qu'ils vendent plus d'animaux qu'ils en produisent !
Vue de l'extérieur, cela peut paraître anodin, voir même normal de laisser disparaître des productions qui à priori ne paraissent pas concurrentielles par rapport à d'autres zones du monde ! En fait, il me parait très risqué pour une société de perdre son indépendance alimentaire ! Bien sûr , par delà les paysans, il y a les emplois d'amont et d'aval qui doivent être au total d'au moins 4 fois le nombre d'agriculteurs... Mais plus dangereux, si ce ciseau entre prix de revient et prix de vente+subventions se détériore trop, ce sera l'abandon des productions donc la remise en cause de la sécurité alimentaire en terme de volume et de qualité ! Personnellement, je pense que l'on ira de plus en plus vers des mouvements de mise en production hiératiques, donc vers des productions qui varieront beaucoup en volume d'une année sur l'autre et alimenteront les spéculations ... Il me semble que nous avions vu les effets pervers l'année dernière de l'abandon de l'économie aux marchés financiers et que le mot régulation fait désormais partie du langage politique !
La transparence du jour peut être une bonne chose, elle peut même être indispensable à condition d'être accompagnée des clefs de compréhension ! Chacun est libre de porter le jugement qu'il veut sur ces voisins ! Mais il faut poser les questions de fond ! Que le système actuel soit injuste, c'est possible, même certain ! Il a été imposé sans concertation en 1992. Encore faudrait il l'apprécier avec les bons critères ! Le transformer ? Pourquoi pas ! Je reconnais que la profession est incapable pour le moment de proposer un projet alternatif ! Mais aucun jugement ne peut être porté ni aucune réflexion entamée sans poser la vraie question : L' Europe doit elle chercher à être indépendante au niveau alimentaire ou se nourrit elle sur le marché mondial ? Si on répond oui à la première , on peut ajouter : A quel prix ? Ensuite, on pourra enfin mettre en place une PAC qui ne soit pas constamment remise en cause. Si on répond oui à la seconde, bonjour aux hormones, aux OGM et autres choses sur lesquelles nous n'aurons plus rien à dire. Et espérons que le prix à payer ensuite pour rester prioritaire en cas de moindre production ne soit pas plus cher que le coût d'une politique agricole autonome !
Attention donc à la chasse aux sorcières qui est en train de monter en puissance suite à cette mise en ligne ! On le lit bien sur les sites des journaux ... Je ne vous cache pas que je suis inquiet des réactions des gens, au quotidien, dans mon village ! Combien vont aller chercher les chiffres, les colporter, les déformer ? Vais je, comme mes collègues, être la cible de réflexions où l'on nous balancera à la figure les montants touchés ? Pire, on voudrait attiser les jalousies entre producteurs, on ne ferait pas mieux ! Diviser pour mieux régner ! Cela semble être la règle générale actuelle ! Mais attention aux conséquences ! Il ne faudrait pas qu'elles découragent injustement ceux qui travaillent et détruisent à terme une économie rurale déjà vacillante !
Vous l'avez compris, je suis interloqué par tout cela, je sens jeté en pâture mes chiffres sans défense possible ! Je me demande même si cela ne va pas m' obliger à briser ma réserve, ici, en vous livrant des chiffres de ma ferme, pour montrer la réalité qui me laisse, comme pour l'immense majorité des autres éleveurs de mon département aux alentours de 6000 € de revenu annuel en 2008 pour vivre sans décapitaliser !