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  • Paysan retraité, ancien éleveur de charolaises, qui regarde l'agriculture,les événements et la société depuis sa cour de ferme. Ma devise : " Prendre ce que la nature veut bien me donner. Vivre avec ce que les hommes me laissent !"
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8 mars 2010

Révolté...

Je ne sais comment exprimer mes sentiments ce soir? Je suis partagé entre douleur et révolte... J'ai peut-être tort de rester trop zen sur ce blog. Ce blog, je le voulais vitrine de la vie d'un paysan, vie paisible et heureuse à ses débuts.

Bien sûr, rien n'est plus pareil depuis 1992 et la réforme de la PAC ! " Nous ne soutiendrons plus les marchés agricoles. En échange, nous allons vous donner une rente, calculée de façon très simple : On fait la moyenne du coût total des subventions versées pour soutenir les marchés par production des trois dernières années et on ramène cela à l' ha de culture ou à la tête de bétail de votre exploitation. Comme vous produisez trop, vous gèlerez 15 à 20 % des surfaces ". Pour le laitier qui a un prix garanti depuis 1984 puisque sa production est limitée à un quota, pas de subventions sauf pour les cultures. Pas d'aides non plus pour les porcs et les volailles qui ne bénéficient pas à l'époque de soutien de marché... En 2003, on change encore tout en versant une prime laitière contre une baisse du prix du lait et en regroupant la plupart des primes de l'exploitation en une seule versée à l' ha sans obligation de produire ! Du moins en théorie, car dans les faits, personne ne "passe " sans utiliser les surfaces à une production. Le piège s'est refermé, les prix sont libres. Ils fluctuent en fonction des spéculations mondiales, des accidents climatiques, des aléas sanitaires et des crises. C'est-à-dire qu'ils baissent en euros constants, de façon irréversible...

Les paysans n'ont plus de sécurité, ils sont livrés au bon vouloir des transformateurs qui répercutent les exigences toujours plus grandes des grandes surfaces. Et ces dernières rognent sans vergogne les parts de marché, détruisant les circuits courts qui permettaient aux paysans de garder un contact avec les consommateurs... Le rouleau compresseur est en marche et plus rien ne peut l'arrêter. De plus, les subventions deviennent l'objet de toutes les critiques et toutes les jalousies. Normal pour qui ne connaît pas la genèse.

En parallèle, tout le secteur qui accompagne les agriculteurs lorgne sur ces primes ! Insidieusement, chaque service met en place une stratégie propre pour devenir incontournable. La crise de l'ESB en 1996 sert de détonateur. La société n'ayant plus confiance dans ses paysans, il faut lui apporter des gages que les produits sont bons. On entre dans l'ère des certifications en tous genres. Une armée de certificateurs vient dans les exploitations contrôler que tout corresponde aux nouveaux cahiers des charges et aux normes de plus en plus nombreuses et exigeantes. Qui paye ? Mais le paysan à qui on explique que ces certificats sont pour lui la garantie d'accès au marché. Marché qui lui serait interdit autrement. Mais la machine ne s'arrête pas là, chacun en veut encore plus et déborde d'imagination ! La société s'intéresse au bien-être animal, aux pratiques des exploitations... Pas de problèmes, on va créer l'écoconditionnalité  c'est-à-dire que l'on versera les primes qu'aux seuls exploitants qui respectent tous les critères. En soi, cela n'est pas anormal. Mais l'astuce est de rendre les règles si complexes qu'un paysan, même bardé de diplômes, ne puisse pas les comprendre. Le résultat est simple, pour être sûr de toucher ce qui vous est dû, souscrivez des services, payant eux aussi... La nasse se referme, sans possibilité de l'éviter. On pousse les gens dans des processus aberrants économiquement. L'exemple le plus flagrant est celui des bâtiments d'élevage. Un non-sens économique, un gouffre à paille coûteuse en carbone et des cathédrales qui endettent à vie les éleveurs quand elles ne les coulent pas...

Rien n'arrête le resserrement des deux mâchoires de l'étau. D'un côté, les prix baissent ou stagnent. Les crises se succèdent. De l'autre les dépenses de services et les investissements imposés augmentent plus que de raison. Le paysan reste balloté en tout sens. Il fait des efforts de transparence, de rigueur administrative... Il change de méthodes de production pour revenir à des parcours techniques plus naturels. Rien n'y fait ! Qu'il parvienne à réduire les consommations de produits phyto ou pharmaceutiques, on trouve toujours quelque chose de nouveau pour lui faire procès. Ainsi, un jour, les rots des vaches deviennent plus dangereux pour l'avenir de la planète que les sites nucléaires désaffectés où traine une radioactivité autrement plus grave.( cf le stade de Gueugnon par exemple !)  Pourtant, cette même vache broute l'herbe d'une prairie qui est un des meilleurs pièges à carbone qui soient ! "Va comprendre Marcel !" On va même jusqu'à inventer que les animaux sont les pires concurrents de l'homme pour sa nourriture. "Gaspillage" de végétaux lorsqu'ils servent à nourrir des animaux que l'homme mange ensuite sous forme de viande. Maillon de la chaîne alimentaire inutile aux yeux de certains !

Là, le paysan se tait ! Que peut-il dire face à ces attaques perpétuelles et sans cesse renouvelées ? Qu'il n'a encore jamais vu d’êtres humains manger de l'herbe ? Personne ne le croira... Le cordon, dont les paysans étaient une des fibres majeures,  entre la nature et les hommes est rompu. La parole est à celui qui sortira la plus grosse énormité pourvu qu'elle fasse peur !

J'ai connu Joël à l'école nationale féminine d'agronomie de Marmillat. École dans laquelle il n'y avait que des garçons ou presque. Une tête ! Avec lui, j'ai passé des soirées interminables à calculer des marges, à décortiquer les cours d'économie, à revoir les itinéraires techniques, à calculer des rations pour nourrir vaches ou cochons et à faire quelques sorties arrosées à Clermont... Nous avons toujours gardé des contacts depuis. Nous nous sommes mariés, nos femmes ont sympathisé... 500 km nous séparent que nous franchissons de temps en temps, partageant tous les moments importants de nos vies...

Vers 11 h, Mme PH, la voix cassée m'a téléphoné ! " PH, j'ai une nouvelle horrible !" En un quart de seconde, j'ai pensé à tout sauf à... " Isabelle vient de m'appeler, c'est Joël... Il a mis fin à ses jours !" " Non, pas lui, c'est pas croyable !" J'ai pleuré tout seul avant de téléphoner à Isabelle. A ses questions, au nouvel appel ce soir et ses remarques, j'ai compris. Joël était perfectionniste et sensible. Sur sa ferme, avec son frère, ils avaient également un troupeau de vaches, mais sa passion, c'était la culture. Blé ou maïs n'avaient aucun secret pour lui. L'année dernière a été anormalement sèche chez eux. De plus, c'est l'année où les cours des céréales ont sombré. Eh oui, la spéculation honteuse de 2007-2008 a caché les réalités. En supprimant la jachère en Europe, on a reconstitué les stocks. Comme tous les pays producteurs qui croyant en une hausse durable des prix, ont misé sur les cultures. Ne vous fiez pas au prix de la baguette qui semble augmenter à nouveau en ce moment, s'il était corrélé au prix du blé, il aurait du diminuer de plus de la moitié en deux ans. Le monde appartient au grand commerce, pas aux producteurs. Donc sur sa ferme, Joël a été très affecté par les résultats de ses cultures. Il avait l'impression de ne plus être capable, de ne plus avoir la main. Avec les discours ambiants, lui qui comme moi a été à l'école où on était fier d'apprendre à nourrir nos voisins, ne se sentait plus utile à la société. " Je ne crois plus en l'avenir de la profession ! " Vous rajoutez un petit incident de tracteur sans conséquences réelles. Et cette impression d'être devenu un boulet pour tout le monde, puisque c'est ce qui est sans cesse répété dans les médias,  lui a fait commettre l'irréparable !

Ce soir, je suis donc brisé et révolté. Parce que Joël était un bon et que son manque de réussite est le quotidien de tous les paysans cette année.
Je crois que dans les prochains jours, je vais briser la loi du silence que je m'imposais ici pour ne pas braver, ni blesser. J'ai été trop sage avec Karine et Gilles lors du tournage de cet été ! Il faut que les paysans parlent et expliquent. Je crois que je vais tout vous dire, quitte à perdre une partie de mes lecteurs que je pourrai choquer, sur ce qu'il y a derrière les trois épisodes qui seront diffusés le 15, 22 et 29 mars sur FR3 . À 0 h30 !!!! Cela en dit long sur la considération des programmateurs pour le travail des journalistes et celui des paysans... Ces derniers sont en voie de disparition, dans l'indifférence générale ! Les politiques sont incompétents sur le sujet, mais peut il en être autrement puiqu' ils ne sont même plus capables de venir seuls pour parler en tête à tête sur les exploitations, sans caméras, ni élus locaux de leur camp, ni service d'ordre ? Que leurs conseillers sont dans le moule de la pensée unique de l'agriculteur fournisseur de minerai... Que leurs copains de soirées sont ceux qui nous volent notre travail...

Il n'y aura pas de décompte macabre des paysans mettant fin brutalement à leurs jours dans la presse. Nous restons pudiques et discrets, seuls sur nos fermes ! Joêl sera inhumé dans "la plus stricte intimité familiale". Pourtant, si une statistique reflétait cette réalité et d'autres signes, d'autres décomptes paraîtraient bien pâles ! Les vrais problèmes ne sont pas chez ceux qui font le plus de bruit...

Entendez le silence des campagnes !!!!

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Commentaires
L
la découverte de votre blog est un choc : il fera partie désormais de mes lectures chaque matin.<br /> http://pierre-coury.over-blog.com
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K
Bonjour cher PH,<br /> <br /> Je découvre aujourd'hui le malheur qui te frappe, ainsi que ta famille et celle de ton ami Joël. Qui frappe bien-sûr chacun des paysans (fils et filles de) qui s'identifie aussitôt à cette situation intolérable. Avec Gilles, nous pensons très fort à toi et à toutes les familles, à tous les amis qui ont vécu cela auparavant. <br /> Tu mets en regard la nouvelle atroce et la diffusion tardive de notre documentaire dans lequel tu interviens. Et tu as raison. Renvoyer à une heure aussi inaccessible soixante ans d'histoire de France, soixante ans de la vie d'une corporation qui a évolué comme aucune autre ne l'a fait, au prix de sacrifices humains et économiques sans comparaison, renvoyer ces soixante ans-là aux oubliettes de la nuit, c'est effectivement reconnaître que cette histoire-là, ces vies-là ne valent pas le détour d'une (re-)connaissance nationale. <br /> Hier soir, j'ai subi la soirée télé jusqu'à l'heure de diffusion de notre film, car j'espérais que Frédéric Taddéi qui anime "Ce soir ou jamais!" sur France 3 juste avant dirait un petit mot de "lancement" sur ce film. J'aime beaucoup son émission et les sujets qu'il choisit d'aborder avec conviction et persévérance malgré son heure tardive à lui aussi. Hélas, pour cause de grève (que je respecte évidemment), son émission était annulée et remplacée par un film d'action avec le grand Jean-Claude Vandame dans le rôle principal. J'attendais donc la fin du film, le son coupé, quand j'ai reçu un mail de Gilles m'informant de ton billet "Révolté". <br /> Après lecture, les larmes aux yeux, j'ai relevé la tête pour tomber nez-à-nez avec le regard vitreux de Vandame et j'ai pensé que, à travers la diffusion tardive de notre film, c'était la mort de ton ami qui passait seulement après la dernière des débilités télévisuelles. Pourquoi notre film n'a-t-il pas "profité" de la déprogrammation de "Ce soir ou jamais!"? Fallait-il vraiment avaler un Vandame avant que d'entendre nos campagnes?<br /> Apparemment oui. Ton ami (et ces autres désespérés qui sont évoqués dans notre doc) ne méritait pas la seconde partie de soirée, mais seulement la troisième. Ne crois pas que je m'appuie sur ce drame pour régler des comptes de réalisatrice. Non, c'est la citoyenne qui parle.<br /> J'ai honte de ma télé. <br /> Si je ne savais pas l'impact que peut parfois avoir un documentaire sur le public, si je n'espérais pas malgré tout que l'histoire que nous racontons sera un jour entendue (et surtout par les urbains et les décideurs), alors, hier soir, entre ton post et mon poste, j'aurais eu, en plus, honte de mon travail fait pour passer à la télé.<br /> Dans notre film, avec Gilles Perez, nous racontons ce que les historiens appellent "La révolution silencieuse" des paysans. Aujourd'hui, je te rejoins et te soutiens dans ta "Révolte bruyante".<br /> Avec toute mon affection.<br /> Karine.
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K
Bonjour cher PH,<br /> <br /> Je découvre aujourd'hui le malheur qui te frappe, ainsi que ta famille et celle de ton ami Joël. Qui frappe bien-sûr chacun des paysans (fils et filles de) qui s'identifie aussitôt à cette situation intolérable. Avec Gilles, nous pensons très fort à toi et à toutes les familles, à tous les amis qui ont vécu cela auparavant. <br /> Tu mets en regard la nouvelle atroce et la diffusion tardive de notre documentaire dans lequel tu interviens. Et tu as raison. Renvoyer à une heure aussi inaccessible soixante ans d'histoire de France, soixante ans de la vie d'une corporation qui a évolué comme aucune autre ne l'a fait, au prix de sacrifices humains et économiques sans comparaison, renvoyer ces soixante ans-là aux oubliettes de la nuit, c'est effectivement reconnaître que cette histoire-là, ces vies-là ne valent pas le détour d'une (re-)connaissance nationale. <br /> Hier soir, j'ai subi la soirée télé jusqu'à l'heure de diffusion de notre film, car j'espérais que Frédéric Taddéi qui anime "Ce soir ou jamais!" sur France 3 juste avant dirait un petit mot de "lancement" sur ce film. J'aime beaucoup son émission et les sujets qu'il choisit d'aborder avec conviction et persévérance malgré son heure tardive à lui aussi. Hélas, pour cause de grève (que je respecte évidemment), son émission était annulée et remplacée par un film d'action avec le grand Jean-Claude Vandame dans le rôle principal. J'attendais donc la fin du film, le son coupé, quand j'ai reçu un mail de Gilles m'informant de ton billet "Révolté". <br /> Après lecture, les larmes aux yeux, j'ai relevé la tête pour tomber nez-à-nez avec le regard vitreux de Vandame et j'ai pensé que, à travers la diffusion tardive de notre film, c'était la mort de ton ami qui passait seulement après la dernière des débilités télévisuelles. Pourquoi notre film n'a-t-il pas "profité" de la déprogrammation de "Ce soir ou jamais!"? Fallait-il vraiment avaler un Vandame avant que d'entendre nos campagnes?<br /> Apparemment oui. Ton ami (et ces autres désespérés qui sont évoqués dans notre doc) ne méritait pas la seconde partie de soirée, mais seulement la troisième. Ne crois pas que je m'appuie sur ce drame pour régler des comptes de réalisatrice. Non, c'est la citoyenne qui parle.<br /> J'ai honte de ma télé. <br /> Si je ne savais pas l'impact que peut parfois avoir un documentaire sur le public, si je n'espérais pas malgré tout que l'histoire que nous racontons sera un jour entendue (et surtout par les urbains et les décideurs), alors, hier soir, entre ton post et mon poste, j'aurais eu, en plus, honte de mon travail fait pour passer à la télé.<br /> Dans notre film, avec Gilles Perez, nous racontons ce que les historiens appellent "La révolution silencieuse" des paysans. Aujourd'hui, je te rejoins et te soutiens dans ta "Révolte bruyante".<br /> Avec toute mon affection.<br /> Karine.
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R
PH, je ne sais que te dire... Ici aussi, deux fois, en quelques mois... mais nous en avons parlé par ailleurs.<br /> Je ne trouve pas les mots. Je pense à toi, même si je passe bien tard et si ces mots sont faibles, et vains...
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J
Il faut parler tout dire !<br /> Valérie a bien fait de signalée ton blog !
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