Révolté...
Je ne sais comment exprimer mes sentiments ce soir? Je suis
partagé entre douleur et révolte... J'ai peut-être tort de rester trop zen sur
ce blog. Ce blog, je le voulais vitrine de la vie d'un paysan, vie paisible et
heureuse à ses débuts.
Bien sûr, rien n'est plus pareil depuis 1992 et la réforme de la PAC ! "
Nous ne soutiendrons plus les marchés agricoles. En échange, nous allons vous
donner une rente, calculée de façon très simple : On fait la moyenne du coût
total des subventions versées pour soutenir les marchés par production des
trois dernières années et on ramène cela à l' ha de culture ou à la tête de
bétail de votre exploitation. Comme vous produisez trop, vous gèlerez 15 à 20 %
des surfaces ". Pour le laitier qui a un prix garanti depuis 1984
puisque sa production est limitée à un quota, pas de subventions sauf pour les
cultures. Pas d'aides non plus pour les porcs et les volailles qui ne
bénéficient pas à l'époque de soutien de marché... En 2003, on change encore
tout en versant une prime laitière contre une baisse du prix du lait et en
regroupant la plupart des primes de l'exploitation en une seule versée à l' ha
sans obligation de produire ! Du moins en théorie, car dans les faits,
personne ne "passe " sans utiliser les surfaces à une
production. Le piège s'est refermé, les prix sont libres. Ils fluctuent en
fonction des spéculations mondiales, des accidents climatiques, des aléas
sanitaires et des crises. C'est-à-dire qu'ils baissent en euros constants, de
façon irréversible...
Les paysans n'ont plus de sécurité, ils sont livrés au bon vouloir des
transformateurs qui répercutent les exigences toujours plus grandes des grandes
surfaces. Et ces dernières rognent sans vergogne les parts de marché,
détruisant les circuits courts qui permettaient aux paysans de garder un
contact avec les consommateurs... Le rouleau compresseur est en marche et plus
rien ne peut l'arrêter. De plus, les subventions deviennent l'objet de toutes
les critiques et toutes les jalousies. Normal pour qui ne connaît pas la
genèse.
En parallèle, tout le secteur qui accompagne les agriculteurs lorgne sur ces
primes ! Insidieusement, chaque service met en place une stratégie propre pour
devenir incontournable. La crise de l'ESB en 1996 sert de détonateur. La société
n'ayant plus confiance dans ses paysans, il faut lui apporter des gages que les
produits sont bons. On entre dans l'ère des certifications en tous genres. Une
armée de certificateurs vient dans les exploitations contrôler que tout
corresponde aux nouveaux cahiers des charges et aux normes de plus en plus
nombreuses et exigeantes. Qui paye ? Mais le paysan à qui on explique que ces
certificats sont pour lui la garantie d'accès au marché. Marché qui lui serait
interdit autrement. Mais la machine ne s'arrête pas là, chacun en veut encore
plus et déborde d'imagination ! La société s'intéresse au bien-être animal, aux
pratiques des exploitations... Pas de problèmes, on va créer
l'écoconditionnalité c'est-à-dire que l'on versera les primes qu'aux
seuls exploitants qui respectent tous les critères. En soi, cela n'est pas
anormal. Mais l'astuce est de rendre les règles si complexes qu'un paysan, même
bardé de diplômes, ne puisse pas les comprendre. Le résultat est simple, pour
être sûr de toucher ce qui vous est dû, souscrivez des services, payant eux
aussi... La nasse se referme, sans possibilité de l'éviter. On pousse les gens
dans des processus aberrants économiquement. L'exemple le plus flagrant est
celui des bâtiments d'élevage. Un non-sens économique, un gouffre à paille
coûteuse en carbone et des cathédrales qui endettent à vie les éleveurs quand
elles ne les coulent pas...
Rien n'arrête le resserrement des deux mâchoires de l'étau. D'un côté, les prix
baissent ou stagnent. Les crises se succèdent. De l'autre les dépenses de
services et les investissements imposés augmentent plus que de raison. Le
paysan reste balloté en tout sens. Il fait des efforts de transparence, de
rigueur administrative... Il change de méthodes de production pour revenir à
des parcours techniques plus naturels. Rien n'y fait ! Qu'il parvienne à
réduire les consommations de produits phyto ou pharmaceutiques, on trouve
toujours quelque chose de nouveau pour lui faire procès. Ainsi, un jour, les
rots des vaches deviennent plus dangereux pour l'avenir de la planète que les
sites nucléaires désaffectés où traine une radioactivité autrement plus grave.(
cf le stade de Gueugnon par exemple !) Pourtant, cette même vache broute
l'herbe d'une prairie qui est un des meilleurs pièges à carbone qui soient !
"Va comprendre Marcel !" On va même jusqu'à inventer que les animaux
sont les pires concurrents de l'homme pour sa nourriture.
"Gaspillage" de végétaux lorsqu'ils servent à nourrir des animaux que
l'homme mange ensuite sous forme de viande. Maillon de la chaîne alimentaire
inutile aux yeux de certains !
Là, le paysan se tait ! Que peut-il dire face à ces attaques perpétuelles et
sans cesse renouvelées ? Qu'il n'a encore jamais vu d’êtres humains manger de
l'herbe ? Personne ne le croira... Le cordon, dont les paysans étaient une des
fibres majeures, entre la nature et les hommes est rompu. La parole est à
celui qui sortira la plus grosse énormité pourvu qu'elle fasse peur !
J'ai connu Joël à l'école nationale féminine d'agronomie de Marmillat. École
dans laquelle il n'y avait que des garçons ou presque. Une tête ! Avec lui,
j'ai passé des soirées interminables à calculer des marges, à décortiquer les
cours d'économie, à revoir les itinéraires techniques, à calculer des rations
pour nourrir vaches ou cochons et à faire quelques sorties arrosées à
Clermont... Nous avons toujours gardé des contacts depuis. Nous nous sommes
mariés, nos femmes ont sympathisé... 500 km nous séparent que nous franchissons
de temps en temps, partageant tous les moments importants de nos vies...
Vers 11 h, Mme PH, la voix cassée m'a téléphoné ! " PH, j'ai une nouvelle
horrible !" En un quart de seconde, j'ai pensé à tout sauf à... "
Isabelle vient de m'appeler, c'est Joël... Il a mis fin à ses jours !"
" Non, pas lui, c'est pas croyable !" J'ai pleuré tout seul avant de
téléphoner à Isabelle. A ses questions, au nouvel appel ce soir et ses
remarques, j'ai compris. Joël était perfectionniste et sensible. Sur sa ferme, avec son frère, ils avaient également un troupeau de vaches, mais sa passion,
c'était la culture. Blé ou maïs n'avaient aucun secret pour lui. L'année
dernière a été anormalement sèche chez eux. De plus, c'est l'année où les cours
des céréales ont sombré. Eh oui, la spéculation honteuse de 2007-2008 a caché
les réalités. En supprimant la jachère en Europe, on a reconstitué les stocks.
Comme tous les pays producteurs qui croyant en une hausse durable des prix, ont
misé sur les cultures. Ne vous fiez pas au prix de la baguette qui semble
augmenter à nouveau en ce moment, s'il était corrélé au prix du blé, il aurait
du diminuer de plus de la moitié en deux ans. Le monde appartient au grand
commerce, pas aux producteurs. Donc sur sa ferme, Joël a été très affecté par
les résultats de ses cultures. Il avait l'impression de ne plus être capable,
de ne plus avoir la main. Avec les discours ambiants, lui qui comme moi a été à
l'école où on était fier d'apprendre à nourrir nos voisins, ne se sentait
plus utile à la société. " Je ne crois plus en l'avenir de la profession !
" Vous rajoutez un petit incident de tracteur sans conséquences réelles. Et cette impression d'être devenu un boulet pour tout le monde, puisque c'est
ce qui est sans cesse répété dans les médias, lui a fait commettre l'irréparable !
Ce soir, je suis donc brisé et révolté. Parce que Joël était un bon et que son
manque de réussite est le quotidien de tous les paysans cette année. Je crois que dans
les prochains jours, je vais briser la loi du silence que je m'imposais ici
pour ne pas braver, ni blesser. J'ai été trop sage avec Karine et
Gilles lors du tournage de cet été ! Il faut que les paysans parlent et
expliquent. Je crois que je vais tout vous dire, quitte à perdre une partie
de mes lecteurs que je pourrai choquer, sur ce qu'il y a derrière les trois épisodes
qui seront diffusés le 15, 22 et 29 mars sur FR3 . À 0 h30 !!!! Cela en dit
long sur la considération des programmateurs pour le travail des journalistes et celui des paysans... Ces derniers sont en voie de
disparition, dans l'indifférence générale ! Les politiques sont incompétents
sur le sujet, mais peut il en être autrement puiqu' ils ne sont même plus
capables de venir seuls pour parler en tête à tête sur les exploitations, sans caméras, ni élus locaux de leur camp, ni service d'ordre ? Que leurs conseillers sont dans le
moule de la pensée unique de l'agriculteur fournisseur de minerai... Que leurs copains de soirées sont ceux qui nous volent notre travail...
Il n'y aura pas de décompte macabre des paysans mettant fin brutalement à leurs
jours dans la presse. Nous restons pudiques et discrets, seuls sur nos fermes ! Joêl sera inhumé dans "la plus stricte intimité familiale".
Pourtant, si une statistique reflétait cette réalité et d'autres signes, d'autres
décomptes paraîtraient bien pâles ! Les vrais problèmes ne sont pas chez ceux
qui font le plus de bruit...
Entendez le silence des campagnes !!!!