Enfin , on en parle un peu...
Un article du figaro.fr parle enfin du suicide des paysans ! C'est la première fois que je trouve un article complet. Inévitablement, je repense à Joël, à tous ces actes inutiles de détresse qui cassent des familles.
Mettre en place des cellules d'aide psychologique ne me parait être la seule bonne réponse. Attention, je respecte profondément le travail de ces gens là, je sais de quoi je parle suite aux problèmes des enfants.Je m'interroge seulement sur le fait que ce ne soit pas un pansement sur une plaie bien plus profonde Je m'explique. N'est il pas un peu facile de mettre en place ces cellules pour permettre aux paysans en très grandes difficultés d'accepter leur sort au détriment d'un projet agricole dans lequel ils aient toute leur place ?
Car c'est avant tout de cela dont il s'agit. Un paysan, c'est quelqu'un de digne, qui veut être utile à la société et qui l'est par sa production de biens alimentaires avant toute chose. Or, cette dignité, cette responsabilité sociétale sont battues en brèche. On lui impose de plus en plus un modèle qui ne correspond pas à sa ferme donc à son projet. Aux jeunes, on demande le même niveau d'investissement qu'à celui de 50 ans qui a eu le temps de construire. A tous, on demande une rigueur administrative qui est à l'opposé de la réactivité et d'une des valeurs majeures du monde paysan : la "parole donnée" . Car chacun sait bien que dame nature est imprévisible et n'écrit pas les scénarios à l'avance ! Mais avant tout , une société élaborée se doit de respecter le travail et la compétence de chacun ! Je ne reviens pas sur le problème des prix agricoles. Vous ne pouvez pas m' empêcher de penser que nous sommes de plus en plus sous un régime de racket organisé ...
La presse a magnifié le plan Sarkosy annoncé à Poligny, livrant en pâture les sommes astronomiques données aux paysans. Moins de 200 € dans mon cas. Souvenez vous des astuces ! On devait payer une taxe carbone de 4 cts par litre de gas-oil. On a annoncé que les paysans seraient exonérés des trois quart de cette taxe ! Donc dans le plan, on devait reverser 3 cts des 4 payés, cela présenté comme une subvention ! Astuce adroite, la taxe devait se mettre en place au 1 er janvier 2010. On aurait déclaré les consommations 2009 qui auraient permis de calculer une avance versée juste avant les élections régionales que l'on régularisait l'année suivante... Pas mal comme présentation ! Sauf qu'au final, pour une profession en détresse de revenus, cela aurait fait un centime de taxe en plus par litre consommé. Et les 3 cts sur toute la France, une somme rondelette devenue subvention.
Idem avec ce qui constitue la majeure partie du plan : Le droit d'emprunter à taux bloqué ! Le critère était de présenter un ratio de remboursement des emprunts précédents de plus 60 % des revenus pour 2009... Je n'entre pas dans les détails. Pour cela, il fallait une étude pour monter un dossier. En fait, la situation est telle que toutes les fermes ici peuvent répondre aux critères. J'ai beaucoup écouté les jeunes ici dont je connais, pour certains, la situation réelle. La plupart de ceux pour qui la mesure était prise n'y ont pas eu accès ! "Vous avez déjà trop d'emprunts" . Ces jeunes creusent donc des dettes ailleurs, chez les fournisseurs. Coopérative et vétos sont devenus banquiers sans le vouloir et surtout sans les garanties habituelles prises par les banques. Ils sont confrontés à deux choix : Soit ne plus travailler avec le paysan en question, soit continuer et lui mettre la pression pour tenter de résorber la dette ou de l'inciter à la creuser ailleurs. Dans le premier cas, il y a le risque d'accélérer la chute et de tout perdre. Dans le second, au moins pour la coopérative, il faut trouver un compromis , souvent par un plan d'apurement sur une décennie pour que la situation n'empire pas ! Il faut alors qu'il n'y ait pas d'accident climatique ou sanitaire, que la famille ... Et l'effort est porté par la solidarité paysanne puisque la coopérative doit emprunter l'équivalent de ces sommes pour se financer, ce qu'elle répercute sur les frais généraux, donc sur tous les autres adhérents.
J'ai entendu les politiques se féliciter du succès de la mesure. Je vais prendre quelques risques de me faire sérieusement rabrouer aux prochaines réunions par les représentants des banques ." Tu racontes n'importe quoi. De toute façon, tous les autres le font..." Mais comme certains de mes collègues sont scandalisés et voudraient bien que cela soit dénoncé, il faut que vous sachiez.. Une partie non négligeable des prêts est réalisée auprès de paysans raisonnables, ceux qui se serrent la ceinture pour passer et qui ne veulent pas s'endetter pour rembourser des prêts. A ceux-ci, on propose un deal simple ! "Vous empruntez et on place votre argent ! Ce sera neutre et vous toucherez les intérêts. Pas de contrôles..."
Intérêt ? L'emprunt est à 3% , avec les assurances et les frais, cela doit monter à 3.5% ! Le placement en décembre était à un peu plus de 4%... Le bénéfice pour le paysan est donc dérisoire. Par contre, voilà un système d'un excellent rapport bancaire. La Grèce, par exemple, emprunte à plus de 6% en ce moment et la spéculation autour de la dette grecque rapporte beaucoup plus ! Donc sur le total, il y a là une vraie manne financière. Personne ne parle des risques. L'argent n'ayant pas d'odeur, on peut légitiment penser qu'une partie des placements proposés l'ont bien été sur des placements à risque comme la dette grecque. Si ce pays fait défaut, l'argent sera perdu. Les épargnants dont les paysans de notre exemple, verront une partie de leurs placements s'évaporer. Et ils pourraient se retrouver dans l'obligation de rembourser des sommes qu'ils n'auraient plus... Aide réelle au monde agricole ? Quand on y réfléchit, on se dirait presque qu'il vaut mieux investir partout sauf dans nos fermes...
Des prix agricoles en déroute, donc des marges négatives et la pression des prêteurs, une aide de la société présentée comme un plan énorme, donc culpabilisant pour les bénéficiaires mais sans effet réel sur les trésoreries. Pas de vrai projet pour l'agriculture, une pression administrative de plus en plus tatillonne, des normes de plus en plus strictes, le procès quasi permanent d'être pollueur... : Comment voulez vous que nous ayons le moral ? L'individu se sent accablé, inutile voir boulet pour la société... Avec au bout du compte, peut être plus de 400 actes irrémédiables par an qui brisent la vie des proches !
Ce ne sont pas seulement des cellules d'aide psychologique qu'il faut, mais redonner une vraie place à chaque "homme" dans notre société, avec le sentiment d'être utile... Aux paysans comme aux autres ! Et en donner un peu moins à l'argent !