Pas le droit de se laisser attendrir, pourtant...
Hier soir, je suis rentré tard d'une réunion à laquelle j'ai essayé de présenter nos actions en terme de recherche et d'innovations. Quand je compare les produits laitiers aux produits carnés dans les rayons des supermarchés, j'ai toujours le sentiment d'un immense retard. Bien sûr, le pot au feu reste un must ! Mais qui a les 4 heures nécessaires à sa cuisson plusieurs fois par semaine dans notre société ? Pourtant, en terme de fragilité, le lait est bien plus difficile à conserver et travailler que la viande. Entre fromages, yaourts et autres transformations, même si la part légitime ne revient pas complétement aux producteurs, force est de constater que les produits sont multiples, variés et tentants ! Alors que les produits de viande bovine restent désespérément toujours identiques. En 25 ans, on est simplement passé des tranches coupées par un boucher devant le client, à la même tranche mise en barquette ... Difficile dès lors d'inciter, en dehors du steak haché surgelé, à consommer les morceaux à cuisson longue qui se vendent à vil prix. En d'autres temps, le roi ( Henri IV ) imposait la poule au pot comme plat obligatoire du dimanche. En écoutant certains discours, avec toujours le même leitmotiv : "La viande, c'est pas pareil, c'est un produit périssable...", j'avais envie de souffler à leurs auteurs de demander au président de la république d'imposer le pot au feu obligatoire, aux français, chaque dimanche midi !
J'ai du mal à accepter ce manque d'initiatives. Pourtant, des tas de choses sont possibles pour peu que l'on cherche des solutions... La preuve bientôt ! Mais qu'il est dur de ramer seul contre tous, soutenu du bout des lèvres quand ce n'est pas moqué, par ceux qui seraient les premiers gagnants à changer les façons de travailler et de vendre !
Au cours de la soirée, j'ai reçu un message téléphonique m'indiquant le départ des broutards pour ce matin ! Au lever du jour, puisque l'heure de ramassage était annoncée pour 9 h 30, je leur ai donné à manger. Je devais ensuite sortir le plus gros d'un lot de douze et trier un autre dans le lot de douze voisin ! J'ai attendu qu'ils aient mangé et je me suis mis à la tâche. Affectueusement, les veaux venaient me renifler, prêts à jouer avec moi sans aucune méchanceté. C'était sympa. J'ai donc réussi à sortir le veau qui devait partir du lot de 12 sans aucune difficulté, en allant doucement et sans qu'aucun des autres ne sorte... J'allais réussir la même manœuvre pour sortir le gros de l'autre lot mais un coquin faisait exprès de s'engager en même temps. Je suis donc rentrer complétement dans la case pour pré-trier mon veau. Je naviguais au milieu d'eux en leur parlant sans qu'ils bougent vraiment. J'ai fait remonter le gros sur le trottoir et je l'ai suivi pour ouvrir le cornadis. Il ne bougeait pas, comme s'il avait compris ce que je voulais faire. La suite s'est passée de la même façon que pour le premier lot !
Cette confiance et cette proximité m'ont beaucoup touché. Je n'ai pas le droit de m'attendrir sur le sort de mes animaux, sinon, je ne vais pas tenir financièrement longtemps. Mais je ressentais un brin de culpabilité lorsque le camion a reculé à quai. Le lot des 11 restants est sorti sans problème. Quand j'ai ouvert ensuite la case intermédiaire du premier isolé, il est venu me renifler ! Et là, le cœur s'est un peu serré ! J'ai essayé de penser à autre chose en les poussant dans le camion. Ils avaient envie de jouer avec nous et il n'y avait aucune crainte dans leur attitude. J'ai eu un petit sentiment de trahison que j'ai évacué en pensant à leur devenir ! Demain, ils seront en Italie, au soleil !!!
Deviendrai je plus tendre en vieillissant ?
Le camion est ensuite allé peser sur la bascule de la coopérative. Le poids du lot correspondait exactement à ce que j'attendais. Dans la case du gros, il y avait donc 6000 kg d'animaux. Ramené au mètre carré paillé, cela fait 125 kg ! Pour les garder propres, ces derniers temps, il fallait un bon bout de la botte de paille ! Le départ de ce lot va me permettre de desserrer les autres lots de broutards ! Les cases actuelles supportent environ 5300 kg, soit une densité de 110 kg par m2 ! Une fois la redistribution effectuée, on va passer à environ 3500 kg dans chaque case, soit une densité de 73 kg par m2 ! Je vais donc consommer moitié moins de paille pour ces cases là ! Je dis cela car on calcule toujours en m2 par animal, jamais en densité. Il vaut mieux que nos technocrates ne s'y intéressent pas car on ne peut pas jouer facilement avec les lots. Une fois constitués au sevrage, il est très délicat de les refaire, chez les mâles, sans prendre d'énormes risques ! En effet, tout changement implique des combats qui souvent se finissent mal faute de place ! J'essaye d'être cohérent en constituant les lots en tentant d'anticiper le poids qu'ils peuvent atteindre pour partir. Une année où les cours baissent régulièrement comme en ce moment, je suis tenté de les garder plus longtemps en espérant des jours meilleurs. Mais on arrive à une limite lorsqu'on dépasse les 110 kg par m2 ! Et là, à 125, il n'aurait pas été prudent d'aller plus loin ! Contraint et forcé, y compris financièrement, j'ai du me résoudre à perdre plus de 60 € par tête !