Le printemps...
Je sais que vous pourrez me reprocher mon optimisme dans quelques semaines. Pâques est si loin ! Pourtant...
Comme je vous le disais vendredi, la pluie de ce week-end marque le vrai printemps. Une bonne trentaine de millimètres, tombés parfaitement, régulièrement, sur une trentaine d'heures. L'idéal ! Aucune goutte perdue, tout a été absorbé par la terre qui n'avait pas reçu d'eau de façon significative depuis deux mois. Il n'y a qu' hier soir, à la tombée de la nuit, que les fossés ont commencé à se gorger d'eau, sans conséquences.
Je crois que chaque paysan ici attendait ce signe. On commençait bien à voir quelques tâches blanches ici ou là, mais de façon confidentielle et prudente. Hier, les vaches sont restées toute la journée dans la stabulation. Mon projet de bâtiment est donc le bon, j'y reviendrai. Ce matin, "on voyait l'herbe pousser !" . Le brouillard intense m'a dissuadé de prendre l'APN. Vers 11 h, il s'est levé. En quelques minutes, le soleil a réchauffé l'atmosphère et les vaches sont immédiatement sorties, à la queue leu-leu, d'un pas lent, assurées que cette fois elles allaient trouver à manger quelques brins d'herbe, provoquant une transe bruyante de celles qui restaient enfermées. J'espère ainsi réussir une transition en douceur, sans stress, évitant ainsi les "trous du lâcher" pour les vêlages à venir. La campagne était radieuse, la saison avait basculée. Il restera quelques sursauts hivernaux, la neige du coucou ou autre. Mais c'est quand même le vrai moment, où en quelques heures, on sait que l' hiver est derrière nous. Le tas de paille est exsangue mais il est possible de réussir la pari de ne pas devoir en racheter.
Comme si cela avait brisé le poids de l'énorme soucis de la profession ici, le téléphone a sonné toute la journée. L'atmospère était pesante, jamais je n'ai senti une telle déprime la semaine dernière. La fatigue sans doute, le découragement général, l'accumulation de quatre années qui nous conduisent au fond du trou sans qu'il y ait la moindre lueur d'en sortir. Depuis un mois je devais être un des derniers à porter un message d'un peu d'espoir dans les réunions. Il y a de bonnes raisons à cela: les cours mondiaux sont pour la première fois depuis des décennies équivalents aux nôtres ! Impossible pour les traders de la viande d'aller chercher ailleurs de la marchandise pour faire baisser le prix de la nôtre. Un petit signe ne trompe pas: toutes les grandes surfaces font de la publicité sur la proximité avec les agriculteurs, voisins sympas tout à coup... Mais, il faudra encore du temps pour que ce nouvel état de fait se traduise par le retour à des cours normaux chez nous. Et la semaine dernière, j'ai été gagné par un énorme doute. L' envolée des cours du pétrole et du blé provoquent une envolée des prix de mes charges. J'estime déjà à 5000 € le sur-coût du fuel, de l'engrais et du tourteaux entre 2010 et 2011 ! Mais cette envolée pèse sur toute l'économie et on se dirige tout droit vers une nouvelle récession, et comme en 2009, la consommation de viande peut baisser avant que les cours ne se soient redressés ! Depuis quelques jours, ayant commencé de négocier la sortie de la majorité de mes ventes de l'année, j'ai mesuré l'ampleur du désastre financier sur la ferme et les efforts qu'il faudra encore faire. Le moral a plongé dangereusement !
Ce matin, ce rayon de soleil a donc eu temporairement un effet salvateur. Pas question d'être naïf, ce n'est pas un rayon de soleil qui va changer la donne, mais il a simplement rappelé à tous les paysans ici , qu'après l'hiver , il y a toujours un printemps, même en économie ! Il faut donc tenir, tenir encore, sans croire un instant aux politiques qui ne pensent qu'à se faire élire ou réélire et qui ne nous aident pas ne serait ce que de quelques euros... Il faut que je réussisse la dernière partie de ma vie professionnelle, prouvant ainsi qu'il reste des voies autres que celles convenues !
Et dernier signe du jour, à l'instant où les rayons du soleil s'éteignaient haut dans le ciel, les vaches sont revenues sous la stabulation !!! Je suis sur la bonne piste...