La condition paysanne... Christian Hirlay...
Joellebarn , une lectrice régulière ici, m'a fait passer des photos que je vais vous faire découvrir, avec sa permission. Mais, avant cela, je voudrais vous faire partager ce qu'elles m'inspirent ! Pour cela, l'actualité colle au sujet. Car, chacun perçoit à sa façon une oeuvre d'art. On peut être totalement indifférent ou au contraire touché par ce qu'elle laisse transpirer...
Mais je vais emprunter des chemins détournés pour exprimer ce ressenti ! Libre à vous de me suivre ou de me trouver un peu à côté de la plaque ! Normal puisqu'on touche à l'irrationnel ...
Ce soir encore, dame nature a essayé de se mettre au mode "pluie" ! Il a tonné, les nuages noirs se sont accumulés, mais les précieuses gouttes sont restées si fines qu'on pouvait sortir sans se mouiller, bien qu'elles se soient reflétées dans le soleil... On avait cette impression décrite par Lauphidor ( sur le billet du 24 ) qu'elles s'évanouissaient avant d'atteindre le sol...
Voilà des années que je n'ai pas ressenti une telle ambiance ici. Je vais essayer de vous la traduire en mots. Pour la première fois depuis des années, dame nature semble avoir retrouvée une place de choix dans les préoccupations de tous les ruraux et même urbains de petites villes ! Pour la première fois depuis bien longtemps, on interroge les paysans pour prendre des nouvelles du temps. Leur avis semble primer sur tous les spécialistes de la télévision, comme si brutalement on se souvenait qu'ils sont les gardiens d'une mémoire ancestrale permettant de décoder dame nature ( ce qui me parait prétentieux de prétendre). Tout se passe discrètement, sans tapage, avec pudeur, comme si chacun voulait se rassurer en s'éloignant des superlatifs permanents d'une actualité médiatique toujours plus catastrophique et insaisissable.
Entre paysans, nous n'évoquons qu'à demi mots la sécheresse. C'est une angoisse sourde et profonde que nous tentons de cacher. Une petite phrase, une petite allusion et nous passons à autre chose. Une façon de conjurer l'image d'éternels râleurs ! Mais sous les masques, le coeur n'y est plus. Sans concertation, plusieurs m'ont fait la même réflexion : " Ah ce vent ! il dessèche tout..." Et un instant plus tard, " Il me prend la tête, je n'arrive plus à me motiver pour travailler " Nous vivons tous cela en ce moment. Impossible de travailler efficacement, longtemps, comme si on avait besoin de ne pas voir les effets de cette sécheresse et du vent, envie fuir la réalité que l'on craint tant... Il n'est pas toujours facile de subir sans pouvoir changer les choses, de voir venir le danger sans pouvoir l'éviter. Alors on tente de conjurer le sort en évitant de revenir sur le sujet. Et nous n'en disons pas plus ! Ce matin, à une réunion de groupement, nous partagions une seule phrase " Ça ira mieux avec la pluie !" Tout était dit et nous passions à autre chose...
Mais ce qui est nouveau, c'est que je ne croise pas quelqu'un sans que soit évoquée la sécheresse. La question est simple et revient dans toutes les bouches : " Va t'il pleuvoir ?" Je ne ressens pas de la compassion mais plutôt une inquiétude profonde. Il faut dire que tout le monde est perdu. Nous avons été abreuvé d'images du désastre japonais... Puis nous nous sommes inquiétés de l'accident nucléaire, comprenant qu'on nous cachait la vérité sur l'ampleur du problème. Un détour par la Lybie pendant quelques jours nous a fait pensé qu'un coup de pouce au destin allait régler le problème avant de comprendre qu'il faudrait un peu plus que cela pour réussir. Retour au Japon où on a enfin compris la réalité avant de s'envoler vers la Côte d'Ivoire... Ces voyages à la vitesse de la lumière au coeur de l'actualité de l'autre bout de monde nous désorientent. Nous subissons cette actualité sur laquelle nous n'avons pas de prise. Et brutalement, dame nature nous touche ici même ! Avril ressemble à juin ! Les bulletins météo semblent perdus dès qu'il faut situer les pluies à venir. Un passage pluvieux est annoncé puis annulé avant d'être annoncé à nouveau. De quoi faire tourner la tête et surtout donner l'impression que comme pour les événements cités précédemment, tout se passe sans que l'on puisse rien maîtriser ! Évènements qui à priori ne concernent que peu de personnes dans leur travail et qui devient le souci de tous. Alors, on se tourne vers les paysans, qui eux devraient savoir sans avoir besoin de se tourner vers la science. Sauf que je ne suis pas sûr que nous en sachions beaucoup plus ?
Je suis surpris de découvrir que cette inquiétude dépasse le monde paysan ! Ce sont deux réflexions de Mme PH ce soir : " Un collègue m'a surpris en me disant que la situation météo devait être une préoccupation à la maison " Et cette nouvelle qui est arrivée en temps réel jusqu'à la salle où elle travaillait toute la journée, sans fenêtre, à la seule lumière artificielle : " Il pleut !" ... C'est une réflexion en plein milieu d'une réunion intercommunale cet après midi venant comme une libération de la part de quelqu'un qui n'a rien à voir avec le monde paysan " Si vous avez laissé votre vitre de voiture baissée, il est temps d'aller la remonter ! " tandis que quelques gouttes pointaient. C'est PH fils qui demandait à sa mère si elle avait croisé des averses au retour et qui s'est vu répondre " Oui, par endroit, j'avais l'impression qu'il pleuvait un peu mais impossible de savoir si c'est vraiment de la pluie selon les paysans ?" ...
Vous l'avez compris, je ressens comme un retour aux sources... Et c'est là que je fais le lien avec les photos de Joellebarn ! Elle s'est renseignée sur le nom de l'artiste qui a sculté la paysan en train de labourer : Christian Hirlay !
La statue est installée sur un rond point en construction. Elle a pensé au blog en la découvrant. Des centaines de personnes vont la voir tous les jours en circulant. Pour certains, elle ne représentera que l' image d'un passé révolu ! D'autres admireront à juste titre l'oeuvre d'art. D'autres y verront un rappel de racines profondes que l'artiste a bien su retracer.
Lui, n'avait pas les informations pour se faire du souci pour l'autre bout de la planète ! Il n'avait pas la météo pour essayer de prédire le temps du lendemain ! Mais il avait le même souci que moi pour tenter d'anticiper ce que dame nature nous réserve ! En sachant qu'elle n'aime pas se dévoiler à l'avance et qu'il faut donc parier sur des scénaris qu'il faut adapter en permanence ! Il n'y a peut être pas tant de différences entre ce qu'il ressentait et ce que nous vivons ! Car la mécanisation, l'information n'ont pas tout réglé ! Et si je passais régulièrement sur ce rond-point, c'est ce qui me serait rappelé à chaque fois par cette sculpture... D'autant que juste à côté, une ancienne léproserie se fait belle pour nous dire également que même nos constructions sont éphémères.
Ces photos sont prises à Noyers sur Cher ! Merci Joellebarn...