La vérité des chiffres...
Depuis la fin de semaine dernière, j'hésite à écrire ce billet ! Les subventions agricoles nous reviennent toujours en boomerang à la figure ! Difficile de les défendre... Pour la première fois, j'ai parlé du sujet avec certains de mes confrères, des gens simples qui ne disent jamais rien ! Profondément blessés , plus qu'inquiets pour leur avenir, désabusés, je me dis que le silence serait une trahison ! Mais comment en parler en gardant la tête haute, sans paraître quémander mais interroger sur les vrais choix politiques ?
Je me doutais bien que nous n'aurions pas grand chose ! Souvenez vous de ce billet ! La désillusion a été énorme en lisant la ligne sur le relevé bancaire sur Internet. Au début, j'ai pensé m'être trompé en remplissant les formulaires ! J'ai donc demandé à mes pairs ce qu'ils touchaient. Même ordre de grandeur ! La déception n'en a été que plus grande !
Souvenez vous des grandes annonces, sous le feu des projecteurs médiatiques ! Aucun éleveur ne devait rester sur le bord du chemin ! Tous les moyens seraient être mis en oeuvre pour passer ce cap ! "Empruntez au crédit agricole, vous toucherez en septembre une première aide". La solidarité des céréaliers a été exemplaire. Le comportement de certains éleveurs beaucoup moins ! Mais la solidarité nationale est en dessous du respectable... Je vais m'expliquer.
Les éleveurs ont poussé la porte de la banque ! Ils ont emprunté les sommes nécessaires pour acheter et payer la paille ! Pour cette dernière, les fournisseurs ont demandé des acomptes à la commande. Pour garantir les prêts, les éleveurs ont apporté leur "DPU" en garantie. En clair, ils ont signé un engagement qui permet à la banque de se rembourser du prêt à court terme au moment où les primes annuelles, celles que l'on touche tous les ans, seront virées sur les comptes, c'est à dire en octobre puis en décembre et janvier. Personne ne s'est posé de questions, comptant sur les aides annoncées le 9 juin pour contribuer substantiellement au remboursement des avances de trésorerie.
Je vous rappelle les conséquences de la sécheresse. Nous avons tous acheté des tonnes et des tonnes de paille. Elle sera plus que nécessaire cet hiver ! Lorsque j'aurai reçu le dernier camion, j'en aurai acheté environ 110 à 115 tonnes : La facture va s'élever entre 11000 et 12000 € ! Mais la paille ne suffit pas, l'aliment complémentaire indispensable se chiffre simplement : Environ 2.20 à 2.4 € le kilo pour tenir une lactation, par 4 kilos/j après vêlage ! Cela fera 6000 à 8000 € minimum en plus ! Et dire que je pensais vendre du blé cette année ; Avec une récolte normale, à 55 qx /ha, je pouvais en vendre pour 5000 à 6000 € , sans que cela change quelque chose pour le troupeau ! Mais il m'en manque...
Au cours des discussions évoquées, j'ai trouvé ce qui faisait le plus mal ! Plus que la modicité de la somme, c'est le tintammare qui l'a accompagné ! Le président de la république, le ministre de l'agriculture, celui de l'écologie, tous les pontes de la profession... Tout le monde y a été de son refrain !!!! Le citoyen normal est convaincu que les paysans restent des privilégiés ! "Il suffit que vous réclamiez pour que cela tombe !" " Vous êtes les chouchous des politiques !" "Nous , quand on a un problème, personne ne nous aide !" " Arrêtez de vous plaindre, vous ne savez pas quoi faire de vos sous... " Chacun y va de sa vérité sur les forums , parfois avec justesse en parlant de matériel mais sans connaître les emprunts qui les financent... Le but est atteint: Le feu médiatique est éteint... Le monde agricole est à nouveau marginalisé... Impeccable pour aborder la suite puisqu'il est impossible d'être compris donc soutenu par la population donc impossible de revendiquer ! De plus , l'été pourri a arrangé les choses même si, sur nos fermes, il permet de ne pas trop nourrir jusqu'à maintenant mais n'enlève rien aux problèmes de cet hiver ! C'est donc cette manipulation des réalités qui fait le plus mal !"Tout cela pour nous clouer le bec" ! A la limite, il n'est pas écrit que l'on doive nous aider mais à ce moment là, on ne communique pas en faisant croire qu'on le fait !
Que va t' il se passer ? Les subventions qui arrivent en octobre et après, servent à boucler les fins d'année, pas pour se les mettre dans la poche, mais pour payer les fournisseurs ! Or, cette année, elles n'arriveront pas chez beaucoup puisqu'elles seront prélevées par les banques. Le paysan local sera donc obligé de tenter de négocier un nouveau prêt auprès de sa banque, sur 5 à 7 ans pour que cela soit supportable ! Mais comme les banques ont de menus problèmes sur les marchés financiers, elles vont être très très frileuses. D'autant que ce n'est que pour combler un déficit, pas pour produire plus ! Le paysan sera alors contraint de creuser les trous chez les fournisseurs ce qui va les fragiliser à outrance. Puis il ne restera qu'à décapitaliser...
Dans une entreprise normale, bien gérée, on essaye de ne pas travailler à perte ! C'est fou le nombre de mes fournisseurs qui m'expliquent qu'ils doivent répercuter telle ou telle contrainte ou hausse, sur les prix qu'ils me pratiquent ! Moi, je dois subir ... Et de ce côté là, les discours ne sont pas gais ! Alors que les cours ont chuté fin mai, ils ont repris en juillet , quand il n'y avait plus de bêtes à vendre... Mais, depuis deux ou trois semaines, ils fléchissent sous la pression des abatteurs qui ne cessent de trouver qu'ils ont trop hauts et qui font tout pour les faire baisser !
J' ai recalculé mon prix de revient prévisionnel au kilo pour 2011 jusqu'à mai 2012 ! Toujours en gardant mes 1200 € par mois... Il faudrait que le prix de la viande passe à plus de 3.80 €/kilo pour payer les achats d'aliments sécheresse sans aides !!!! Or, on en est là :
Je pense donc qu'énormément de fermes d'élevage sont en extrême danger ! Je sais, on va me répondre que "les meilleurs vont s'en sortir". Les gros espèrent toujours manger les petits qui les entourent ! Sauf que le groupe qui a travaillé sur les prix de revient, auquel j'ai participé, n'arrive pas du tout à cette conclusion ! Car, quand un secteur est structurellement déficitaire , les plus grandes fermes perdent plus, même si on continue de faire croire que c'est le contraire ! La seule différence se fait sur le fait d'avoir terminé ou non de rembourser les prêts du début de carrière ! Ce qui veut dire que l'on va faire tomber en premier, ceux qui doivent nous remplacer... Un contre sens économique ! Un contre sens social puisque les exclus iront renforcer les rangs des chômeurs qu'il faudra bien aider !!!
A moins que le but final soit, pour les grandes sociétés financières, de récupérer la terre et de faire disparaître définitivement les paysans ! Je dis cela très sérieusement, ce billet m'a ébranlé me rappelant des farmers américains rencontrés en 2000 aux USA... ( Je n'ose pas en parler )
Il n'est pas facile de mettre ses propres chiffres en ligne, je vais encore faire l'objet de remarques ou de jalousie ! J'en prend le risque : la vérité des chiffres est celle-ci :
21/09/2011 : VIR DDFIP71-CALAMITES PAIEMENT CALAMITES 2011 DDT 71 : +1169,93EUR
A mettre en rapport, avec les 18000 à 20000 € que me coûte la sécheresse ! Ce n'est qu'un acompte, c'est vrai... Mais quand cette somme sera doublée , on devrait y être... Réponse en Février, aux dernières nouvelles...
A force d' être divisée pour mieux régner, notre société risque ne plus être capable de construire l'avenir ! La jalousie ou la suspicion l'emportant sur l'élan collectif... Seule la vérité du vécu de chaque profession peut nous permettre d'avoir un jugement correct sur la situation des autres. Une maison n'a pas que des pierres d'angle, pourtant toutes les pierres sont indispensables...