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  • Paysan retraité, ancien éleveur de charolaises, qui regarde l'agriculture,les événements et la société depuis sa cour de ferme. Ma devise : " Prendre ce que la nature veut bien me donner. Vivre avec ce que les hommes me laissent !"
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15 avril 2012

L'intégration rampante des paysans... Les servitudes modernes

La nouvelle ne circule pas encore dans les campagnes...

Pourtant...

En réunion cette semaine, je me suis fait expliquer sommairement la nouvelle procédure qui devrait devenir obligatoire dès l'année prochaine concernant l'emploi des produits pesticides. Je crois que tout remonte au grenelle de l'environnement. Légitiment, la question de la pertinence de l'emploi de ces produits s'est posée. Il serait irresponsable de nier les excès commis par certains. Il est clair qu'il y a besoin de remises en cause pour sortir de leur emploi systématique. Mais...

Pour moi, tout repose d'abord, sur la prise de conscience des agriculteurs ! Les premiers concernés et les premiers exposés aux risques... Mais c'est le schéma inverse qui a été retenu. Je vais essayer de m'expliquer, simplement, en reprenant la chronologie des événements.

Tout d'abord, ma pratique "pesticide": Sur 126 ha, je ne fais qu'un passage pour désherber sur 20.5 ha de cultures à savoir triticale, blé et orge d'hiver. Rien sur les 105 ha restant, rien pour les espaces autour des bâtiments. Pour ces derniers, ce n'est pas très beau en fin de printemps, j'essaye juste de broyer pour que cela reste propre. Les ronces repoussent tellement vite... En fait, je ne désherbe que les allées du jardin autour de la maison ! 

La course au rendement a conduit à sélectionner des variétés toujours plus productives mais plus sensibles aux maladies également. Pour obtenir ce rendement maximal, il faut protéger chimiquement sans louper aucune étape. Quand on lit les livres anciens sur l'agriculture, les mauvaises herbes étaient la première plaie. Le désherbage chimique a donc permis une vraie avancée. Du coup, les maladies sont devenues facteur limitant ainsi que les insectes ravageurs. On a donc traité. Quasi systématiquement dans certains cas. Au moindre puceron, on traitait détruisant au passage la coccinelle, le prédateur naturel, favorisant ainsi une nouvelle attaque de pucerons... Un épi bien rempli est un épi lourd. Du coup, la tige plie et il a fallu la raccourcir chimiquement... Je m'arrête là, pendant plusieurs décennies, on a réglé les problèmes avec des solutions chimiques.

Ici, il n'y a pas un potentiel agronomique pour faire des rendements faramineux. La course au maximum s'est rapidement traduite par des désillusions financières. Il est préférable d'adapter la technique à cette contrainte. Les céréales servent à nourrir les animaux, pas besoin de produire du meunier. Le triticale, très rustique, offre une résistance naturelle aux maladies, l' avantage du seigle sans doute ? Du coup, au fil des ans, il est devenu majoritaire dans mes cultures. Au début, il versait facilement mais avec le temps, de nouvelles variétés très résistantes sont apparues. Côté blé, j'attends avec impatience de nouvelles variétés résistantes aux maladies. J'en teste déjà une cette année. Car pour le moment, autant les résultats en triticale sont assez réguliers autant ceux du blé ne le sont pas, à cause des maladies... Reste le problème majeur ici;  dans un pays d'herbe comme le mien, le désherbage est compliqué à supprimer ! Peut être trouvera t'on dans les pratiques de travail du sol entre cultures, une solution partielle ? Mais aura t'on les moyens de s'équiper en matériels nécessaires ? J'ai testé la suppression du labour, avec un résultat catastrophique sur une parcelle non désherbée. Entre carbone et récolte, il faudra choisir...

Depuis le grenelle, je ne peux plus me servir du pulvérisateur acheté d'occasion en pays de culture. Avant, avec mon père, nous en avions un petit acheté chez un discounter à très bas prix. Léger et fragile, il n'était pas très performant. J'avais donc trouvé un bon appareil dans la Marne que j'ai entretenu. Mais depuis trois ans, il est sous un hangar. En effet, ces appareils doivent subir un contrôle technique tous les cinq ans. Un rapide calcul entre le coût du contrôle, le temps pour emmener l'appareil et les inévitables réparations obligatoires m'ont poussé à changer de stratégie. Je désherbais à l'automne, en pré-levée, c'est à dire entre le semis et avant que la plantule sorte de terre. Ces désherbants "protègent" la culture des adventis jusqu'au printemps. Inutile de vous dire que je pense que se sont des produits puissants, sans doute plus toxiques ? Je voulais passer au printemps avec des produits qui agissent sur les mauvaises herbes par contact. C'était une mesure CTE de la région, mesure préconisée car employant des produits moins "nocifs" pour la nature. C'est ce que j'en avais compris. Mais passer au printemps, suppose d'être disponible les rares journées où les conditions de portance des sols et les conditions climatiques sont optimales. Ce qui réduit énormément les possibilités d'utiliser un même matériel à plusieurs. Il faut être prêt à intervenir quand le vent tombe entre autre. Il est donc difficile de bloquer plusieurs jours l'appareil sans s'en servir.

Pour augmenter les possibilités d'intervention dans le temps, le quad est une solution. Très léger, il passe plus facilement même dans nos terrains très humides. Je me suis donc tourné vers cette possibilité, externalisant ce travail à la coopérative. Cela a un coût : l'opération me coûte trois fois plus cher que l'emploi de mon ancien pulvé. Un tiers plus cher que cet appareil passé aux contrôles... Je termine par une simple remarque : Plus la ferme est grosse, plus l'agriculteur fait de passages, plus le contrôle se justifie, simplement parce que les réglages très fins permettent d'éviter d'éventuels gaspillages donc le rentabilise. On pousse donc à la spécialisation des fermes et régions en condamnant par avance à un surcoût certain les exploitations traitant de petites surfaces. A l'heure des déséquilibres humiques d'un côté et de paille de l'autre, une application uniforme d' une telle mesure est elle la plus raisonnable ?

En parallèle à cette exigence, une autre contrainte est apparue : Une obligation de se former à l'emploi des pesticides pour tous les agriculteurs pour avoir le droit d'acheter des produits à partir de 2014. 3 jours de formation, à renouveller tous les 10 ans. Soyons francs, c'est plutôt une bonne chose si ce n'est quelques détails. Gratuite la première année pour appâter, il y a fort à parier que la formation deviendra vite payante. Une manne pour les organismes de formation puisqu'on estime à 800 000 le nombre de personnes à former ! J'ai voulu la faire l'année dernière mais j'ai été refoulé faute de places ! 10 à 15 par sessions. Sans commentaire. J'espère la faire cet automne. Je regrette juste la forme. En agriculture, les quelques formations continues existantes se passent comme dans les années 50. Au cours d'un voyage d'étude aux USA en 2000, nous avions visité une université à Ames dans l'Iowa. Un coin perdu qui distribuait des formations aux farmers du pays grâce à Internet. Pas de déplacements, des cours à distance en visio conférence, des cours et conférences enregistrés pour être suivis la nuit ou les jours de pluie ! Bref, un modèle d'adaptation à la vie et aux contraintes des paysans américains ! Un rêve inaccessible ici, donc la galère pour qui veut se former... 10 ans après, pas l'ombre d'une possibilité d'aller dans ce sens. Pourtant, dans ce cas précis, quelle facilité et quelles économies...

Mais le meilleur reste à venir : Dès la fin de l'année prochaine, plus question de pouvoir acheter un pesticide sans une ordonnance. Je m'explique : Pour pouvoir acheter le désherbant, il faudra non seulement que je produise le certificat "certiphyto" mais il faudra également qu'un technicien agréé soit passé dans la ferme voir les parcelles pour vérifier si l'emploi est justifié... Mieux, il devra proposer une solution alternative au traitement chimique. Je ne vous dis pas la complication et la flambée des coûts. Je n'ose pas imaginer non plus la perte de réactivité en cas d'attaque importante et soudaine de maladies en pays de culture. Là, où une décision immédiate est nécessaire pour réagir en temps réel à l'imprévisibilité de dame nature, on substituera une procédure longue donc coûteuse et inefficace car arrivant trop tard. Je vois déjà certains organismes se léchant les babines devant ce nouveau marché ( et d'autres s'arracher les cheveux pour ne pas alourdir les charges ). Dans un premier temps, les techniciens des coopératives et autres marchands de produits seront formés, se payant sur les ventes. Puis viendront sans doute de nouveaux conseillers, avides de vendre leur savoir faire, à la solde, pourquoi pas, des industries chimiques qui pourraient profiter de cette visite obligatoire pour pousser à... A l'inverse, en cas de refus par idéologie du sésame, qui assumera la perte de récolte ?

Et le paysan au milieu de tout cela ? Un simple exécutant des basses besognes. Il n'aura plus son mot à dire. Que veut dire le mot autonomie dans un tel contexte ? Que veut dire indépendance de décision ? Je pensais que l'intégration économique arriverait la première. J'ai tout faux, il faut dire que nos résultats économiques sont si mauvais. C'est l'intégration technique qui arrive à grands pas ! J'ai perdu le droit de labourer les parcelles de mon choix depuis la PAC de 1992. Je dois passer par un organisme lié à l'ordre des experts comptables pour tenir et présenter mes comptes à l'administration fiscale. Je dois chaque année rendre compte à mon vétérinaire de la façon de gérer tout le sanitaire de mon élevage, sachant que c'est lui qui prescrit et vend les produits... Je dois m'en remettre à un architecte pour construire un hangar ou une stabulation, puis faire valider le projet par la commission départementale.  La limite entre curer un fossé et le creuser est si ténue que je ne sais jamais si je ne vais pas prendre un procès à chaque démarrage du tractopelle car, dans le deuxième cas, il faut une autorisation administrative ad hoc. Aujourd'hui, j'ai choisi d'entrer volontairement dans une démarche de protection des haies.  Mais un projet de classement au patrimoine mondial de l'humanité pourrait rendre ce choix définitif et contraignant en terme de surveillance, de contrôle voir de plantation puisque certaines espèces seulement seront alors permises si le projet abouti ...  Je passe sur le risque de voir le plan prévisionnel de fumure de la ferme devoir être validé avant de pouvoir être appliqué... J'arrête là cette énumération, je pourrai en rajouter. A chaque fois, on évoque les excès de quelques uns pour imposer à tous.

Le paysan moderne a, au minimum, le Bac , voir plus dans bien des cas. Mais on semble l'ignorer. On lui retire toute possibilité d'être responsable de ses choix, de sa réactivité, de son bon sens et de son expérience... Je ne suis pas soudain atteint d'un grand découragement. J'essaye d'être réaliste et de comprendre les évolutions profondes de notre métier. Je suis atterré de lire dans tout ce que je viens de décrire la volonté de détruire systématiquement la liberté de gérer du paysan. C'est cette liberté qui nous fait accepter toutes les adversités que nous imposent dame nature. C'est elle qui nous fait lever la nuit dans la bise, elle qui nous pousse à investir en permanence pour mieux gérer. Elle qui nous conduit à tenter pour innover... En voulant le transformer en simple exécutant, on le renvoie au temps des servitudes. La chute des installations devrait inquiéter la société, faire réfléchir nos responsables, réorienter les mesures pour redonner la vraie place à l' Homme, le seul capable de réagir en temps réel dans la nature. Il n'en est rien. Dans l'indifférence générale, sous prétexte de "sécurité", mais plus sûrement parce que cela crée de nouveaux marchés, de nouveaux débouchés pour nos services, donne du pouvoir à quelques administratifs en les protégeant de leurs erreurs d'appréciation, on organise la fin des paysans... Il y aura bientôt plus de donneurs d'ordres que d'exécutants.

On aurait tort de limiter cette réflexion à notre seul secteur. Partout dans notre société, le pouvoir individuel de création, d'innovation et d' entreprise recule face à d'autres logiques, financières, de normalisation, de lobbies administratifs ou de nouveaux services payants ! Ceux qui exercent les fonctions de production sont ils si méprisables ?

                  merisier

En évoquant ce sujet devant un responsable agricole, je me suis fait traiter de "révolutionnaire" ! Peut être vaudrait il mieux que je me taise ?

 

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Commentaires
F
Commentaire tardif... je viens de reproduire un passage de cet article que j'avais lu et mis de côté en avril dernier parce que je le trouvais génial et très parlant. Voici le lien:<br /> <br /> http://compere-commere.blogspot.fr/2012/12/51-la-liberte-ete-delocalisee.html<br /> <br /> J'espère que vous ne m'en voudrez pas de citer votre article dans mon propre blog.<br /> <br /> Bon courage.
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P
Joellebarn : Bien vu... A lire la moralité de l'histoire, je change de pseudo ?
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J
et bien ! je vous plains. je pense que ce problème d' étouffement sous les protocoles et la paperasse concerne de plus en plus de métiers. à l' hôpital les vieilles étaient heureuses de partir en retraite et plaignaient les jeunes, à cause de ça entre autres. on se disait aussi une petite histoire que j' ai retrouvée pour vous : <br /> <br /> " La petite fourmi travailleuse<br /> <br /> <br /> <br /> Et c'est tellement vrai... (il suffit de regarder autour de vous)<br /> <br /> <br /> <br /> Il était une fois, une Fourmi heureuse et productive qui tous les jours arrivait de bonne heure à son travail. Elle passait toute sa journée à travailler dans la joie et la bonne humeur, poussant même la chansonnette. Elle était heureuse de travailler et son rendement était excellent mais, malheur, elle n'était pas pilotée par un manager ! "<br /> <br /> <br /> <br /> la suite ici :<br /> <br /> http://linuxfr.org/users/linuce/journaux/histoire-de-la-petite-fourmi-travailleuse
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F
Le carcan se resserre sur nous tous et si on ose le dire, on se fait traiter de révolutionnaire!... Dimanche je voterai pour François Bayrou que j'ai vu s'adresser à nous, des villageois du Berry, en homme de terrain et de bon sens. Il a dit texto qu'il faudrait ficher la paix aux gens. Demandons donc d'inscrire ça dans la constitution!!! :-)
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J
Une fois de plus à la lecture de ce billet et des commentaires qui en découlent, je constate l’acuité et la justesse de votre analyse! <br /> <br /> Félicitations pour avoir présenté de façon si pédagogique la réalité de ce qu'il faut bien appeler un véritable carcan qui petit à petit se resserre sur notre profession et qui engendre toutes les conséquences néfastes à court et à moyen terme pour nos concitoyens.<br /> <br /> C'est une réalité : nous étouffons chaque jour un peu plus dans l'indifférence générale!<br /> <br /> Lorsque de nos jours d'aucuns implorent le retour à la croissance il n'y a pourtant pas à chercher bien loin pour en trouver les leviers...<br /> <br /> C'est donc un vrai courage politique pour faire évoluer la situation qui nous manque depuis tant d'années.<br /> <br /> J'espère que beaucoup de nos candidats vous liront...<br /> <br /> Bon courage à vous et gardons espoir, après la sécheresse et l'aridité, la pluie revient.
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