Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
paysanheureux
paysanheureux
Publicité
paysanheureux
  • Paysan retraité, ancien éleveur de charolaises, qui regarde l'agriculture,les événements et la société depuis sa cour de ferme. Ma devise : " Prendre ce que la nature veut bien me donner. Vivre avec ce que les hommes me laissent !"
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Derniers commentaires
Archives
Visiteurs
Depuis la création 1 434 390
3 septembre 2012

Sécheresse US : Conséquences sur le cours des bovins.

J’ai envie d’aborder un sujet sensible ici : Le marché de la viande bovine. (Même si j’ai ensuite des reproches ailleurs).Lorsque l’on parle de l’ensemble des acteurs entre l’agriculteur et votre assiette, on parle de filière. Certaines filières agricoles sont structurées et les relations commerciales en leur sein sont établies par des contrats, la volonté d’une promotion globale des produits, d’innover… Pour rester gentil, disons simplement que la filière viande n’entre pas dans cette catégorie et qu’elle fonctionne comme il y a 50 ans, sauf que les choses ont bien changé depuis…

Pour simplifier, retenez qu’il y a 3 grandes familles qui pourraient être subdivisées à leur tour.

 La distribution qui est écrasée par la grande distribution qui représente à elle seule plus de 85%  du commerce de la viande aux ménages. Le nombre de bouchers est en chute libre. J’y adjoindrai la restauration collective où les groupes comme Sodexho ou Mac do pèsent très lourds. Les restaurateurs s’approvisionnent de plus en plus chez des grossistes qui leur fournissent également des plats cuisinés. Retenez simplement que quelques très gros groupes représentent la grosse part des volumes distribués. Au contraire des années 1960 où il y avait pléthore d’acteurs économiques dont beaucoup, à l’époque, achetaient directement en ferme, sans passer par l’échelon intermédiaire…

La transformation qui se restructure à la vitesse grand V ! En clair, dans les années 60, il y avait des abattoirs municipaux partout, permettant à tous les bouchers assez proches de régions d’élevage d’abattre les animaux qu’ils achetaient sur pied. En parallèle, pour les autres débouchés, il y avait  des tas de petites « chevilles » qui commerçaient les carcasses ou des pièces… Aujourd’hui, en France, au nom de normes de plus en plus exigeantes, on privilégie les abattoirs industriels de très grande taille, seuls rentables pour amortir les exigences sanitaires supplémentaires. Je dois reconnaître qu’ils permettent également une meilleure efficacité économique pour le travail sur les carcasses (la fabrication de steak haché par exemple). Les petits abattoirs sont en voie de disparition dans notre pays. L’abattage et la transformation se concentrent de plus en plus entre les mains de très gros opérateurs, dont Mr Bigard  est le leader avec plus de 60 %... Je note au passage que les choses sont très différentes en Allemagne par exemple, permettant de garder des circuits courts…

La production et la collecte avant abattoir que je n’ai pas besoin de décrire plus qui se caractérise par un nombre incalculable d’intervenants. Disons que je pourrai vendre à une multitude de marchands si je faisais ce choix. Comme les marchands ont une multitude d’éleveurs auxquels ils peuvent acheter. Dans mon département, environ 40 % des animaux passent par des groupements d’éleveurs. Et rares sont ceux, parmi les adhérents, qui vendent tous leurs animaux à ce seul groupement.

Ces notions de poids économique induisent les rapports de force, donc les marges. J’en ai déjà parlé : La grande surface rafle la mise, la transformation suit de loin et la production subie. J’ai assisté de loin, assez stupéfait tant cela m’a paru archaïque, à des relations commerciales entre chefs de rayon de grandes surfaces et un transformateur, puis entre ce même transformateur et un marchand de bestiaux… Le terme de « guerre » commerciale n’est pas usurpé. Tous les arguments possibles ont été évoqué, tous les chantages exprimés, coups de gueule, raccrochage au nez, j’en passe et des meilleures. Quand on prend du recul et que l’on veuille imaginer une filière un peu plus organisée, un peu plus structurée et d’avenir, on comprend alors que soit cela est impossible, soit qu’il faudra être très très patient. Personne pour le moment n’imagine qu’il faille sortir de ce rapport de force stérile pour tout le monde, y compris pour le consommateur puisque chacun veut gagner plus sur le dos de tous les autres… Le maquignonnage qui existe encore parfois entre éleveur et marchand de vaches parait presque bien calme !

Mais ces rapports de force au sein de la filière viande ont des effets pervers. Une légère surproduction et hop, transformateurs et distributeurs maintiennent la tête sous l’eau aux éleveurs. Cela a été le cas ces 4 dernières années. Pire, ils jouent l’opportunisme l’année dernière, en début de sécheresse en achetant 15 % moins cher que quelques semaines plus tôt les animaux puisqu’on anticipait le manque de fourrages. Pas un ne s’ est posé la question de savoir s’il ne serait pas judicieux de proposer un prix garanti aux éleveurs pour rémunérer  les achats d’aliments nécessaires contre un engagement à garder les animaux pour une période donnée, bref à contractualiser. On est sur un marché de gré à gré, au jour le jour…  A l’inverse, un peu de sous production et les cours montent en ferme. On se tourne alors vers le consommateur en augmentant le prix de vente. Personne dans ce cas ne rogne sur la marge, en particulier les grandes surfaces pour lesquelles l’observatoire avait noté qu’elles étaient passées de 40 à 45 % les deux dernières années.

Pour être complet, au niveau européen, la production de viande bovine est déficitaire depuis plusieurs années. Bizarrement les cours baissaient, ou du moins ne montaient pas, ne permettant pas aux éleveurs de répercuter les hausses des intrants dont les aliments du bétail ! En fait, les grands groupes évoqués achetaient sur le marché mondial de la viande, juste assez pour maintenir les cours en ferme bas. Un discours alarmiste faisait le reste du travail. Seuls sur nos fermes, il est difficile d’avoir les  bonnes informations. Du coup, depuis 3 ans, le troupeau français diminue légèrement…

Les années de calamités agricoles sont des révélateurs. Poussés au rachat d’aliment, les éleveurs ne finissent pas les animaux autant qu’en année normale, les carcasses sont moins lourdes, les anticipations font qu’il y a moins d’animaux. Donc passés les moments d’abattages par anticipation, les cours remontent… Sauf qu’en 2003, la hausse avait été légère et qu’en fin 2011 et début 2012, elle a été substantielle. La raison est simple. En 2003, les cours des céréales n’ont progressé que par une demande en aliments du bétail ( et une moindre récolte en Europe) du troupeau européen. A l’échelle du monde, les répercutions étaient minimes et il était possible de trouver de la viande à bon marché sur ce marché mondial, limitant ainsi l’inflation européenne des cours. En 2011, la situation est très différente. Suite à la flambée des cours de céréales et du soja depuis 2008, le marché mondial de la viande s’est très tendu. Si vous avez lu les billets précédents, vous allez comprendre. Produire de la viande avec des aliments achetés coûte plus cher. La demande alimentaire mondiale augmente avec la hausse du pouvoir d’achat des pays émergeants, en Chine en particulier où se nourrir reste prioritaire sur les consommations de loisir. Dans mon système à base d’herbe, je ne peux pas changer mais en Amérique, beaucoup de très gros producteurs agricoles, souvent des financiers américains, préfèrent à juste titre produire et vendre maïs ou soja plutôt que faire des bovins. En quelques années, les cours mondiaux dépassent les cours européens, mais  les éleveurs ne le savent pas ! Nos animaux deviennent donc intéressants pour des pays importateurs, comme la Turquie ou le Maghreb.  En 2011, le ministre de l’agriculture débloque les entraves administratives et sanitaires, il devient possible d’exporter un peu. Du coup, les cours en ferme montent, plus en proportion qu’en 2003. L’aval de la filière hurle car elle doit suivre ! A juste titre quand Mr Bigard fait remarquer que cela met en danger l’activité de ses abattoirs mais sans qu’il veuille  revenir sur les pratiques antérieures décrites plus haut. Le rapport de force a changé de camp, mais la guerre continue. L’aval  essaye d’interdire ou de limiter les  exportations…  Il est dommage qu’on ne puisse pas travailler autrement. Tandis que d’autres filières agricoles françaises tirent profit de la situation par une stratégie de filière sans que le consommateur français soit le seul payeur au final.  

Aux USA, suite à la sécheresse, on s’attend à une légère baisse des cours de la viande dans les prochaines semaines. Comme moi l’année dernière, les éleveurs vont serrer la vis en anticipant les abattages possibles et en renonçant ensuite à pousser les animaux suivants. Ce qui aura pour conséquence, une hausse des cours de la viande dans un second temps. Elle devra tenir compte de la hausse des aliments du bétail. En fait, en cas de calamités climatiques, petits ou énormes producteurs, nous réagissons tous de la même manière. A condition d’avoir tous  la même information sur l’état du marché ! Vous l’avez compris, l’analyse doit être mondiale pour être pertinente. On est très loin de la réflexion classique du maquignon qui annonce toujours le pire en arrivant dans la ferme pour acheter. Pourra t’on continuer et construire sans transparence au sein de la filière ? Peut on laisser un échelon profiter en spéculant sur le dos de tous ? Je crois au marché, à condition qu’il ne soit pas faussé. Récemment, je vous ai dit avoir trouvé les cours de la viande pratiqués en Amérique du nord. Malgré la hausse actuelle ici, on est très loin du compte ce qui me rend prudent avant de les livrer. Car pour être honnête, je touche des subventions, comment en tenir compte ?  Je vous rassure, je ne spécule pas. Mais si je les publie ici, cela va faire un choc et exacerber les reproches de quelques lecteurs professionnels qui me connaissent. J’attends donc de voir ce qui se passe au cours de quelques rencontres à venir.

Derrière tout cela, c’est toute la politique agricole de notre pays et de l’Europe qui est en jeu. Je suis intimement persuadé que nous sommes à la fin d’un cycle agricole. Pour autant, il n’est pas certain qu’au regard du prix des intrants qu’il faille revenir à la PAC modèle 60. Car…

D’autres pistes sont possibles en Europe et surtout en France, mais…

Dans les années 50, les jeunes paysans, au travers de la JAC ont pris leur destin et leur métier en main pour tracer un nouveau sillon. Tout n’a pas été parfait mais l’Europe a acquis une certaine indépendance alimentaire. Personne n’a su anticiper la suite. Il y a eu les stocks, les quotas, les subventions… Les paysans ont perdu le leadership pour définir leur avenir. Depuis un peu plus de 2 décennies, ils subissent. Aujourd’hui, on va avoir besoin d’eux ! Peuvent ils se reprendre en main ?

Suis-je habilité à avancer mes propres idées ? J’hésite…

Publicité
Publicité
Commentaires
Y
Très belle explication qui montre bien les liens élastiques mais solides entre commerce mondial et production locale.<br /> <br /> <br /> <br /> Un peu en parallèle, lu dans l'excellent Nov'Ethic les pb des agriculteurs américains pour le partage de l'eau avec les industriels de l'extraction du pétrole. Edifiant. Nous n'en sommes pas encore là en France mais vigilance ....
Répondre
F
Ce billet (même si je ne suis pas d'accord sur la la dernière partie:Après la guerre,les paysans se sont peut-être retroussé les manches mais ils ont fait ce que l'Europe, déjà, leur demandait de faire) est excellent, comme les commentaires!<br /> <br /> Oui, on attend la suite!
Répondre
G
Bonsoir PH, et merci pour ce "feuilleton" dont j'apprécie chaque article.<br /> <br /> Une question m'interpelle: par quel biais "l'aval" peut-il donc chercher à bloquer les exportations?
Répondre
W
Bonjour PH !<br /> <br /> j'adore ce blog ! il est très bien fait et très bien écrit et en plus très interessant en ce moment sur le marché mondial notamment de la viande ! Bravo pour la description très compréhensible par les novices du secteur agricole ! Bravo aussi pour ton courage de donner ton point de vue en tant qu'éleveur et partie prenante de la filière viande bovine et certainement membre des instances de la profession ! BRAVO !<br /> <br /> En tous cas, ton explication permet de faire comprendre aux gens extérieurs que les éleveurs et eux-même en tant que consommateurs subissent les machinations diaboliques de "professionnels de la profession" au niveau national et européen et de pseudo opérateurs agricoles mondiaux qui sont présents pour faire uniquement de l'argent et garder le pouvoir!<br /> <br /> Je m'enflamme !<br /> <br /> La filière viande est comparable aux fruits et légumes et peut être moins aux céréales !<br /> <br /> En tous cas Bravo et bon courage à toi ! Et merci pour ton blog ! Continue!
Répondre
D
Bravo PH.<br /> <br /> Encore une analyse très éclairée, porteuse qui plus est d'un message d'espoir pour tous ceux qui subissent crise sur crise depuis plus de 20 ans.<br /> <br /> Mais réorganiser la filière et ré-équilibrer les rapports de force durablement est loin d'être évident.<br /> <br /> Vivement la suite de ton billet !
Répondre
Publicité