Une semaine au goût amer...
La semaine s'est achèvée en me laissant un goût très amer !
Côté météo, nous sommes passés à côté de toutes les pluies nécessaires. Les 3 semaines précédentes, nous n'avons eu que 15 mm par semaine quand il en aurait fallu 30 ou mieux 50. 3 mm seulement cette semaine.. Les prés ont reverdi mais il n'y a pas d'herbe. Pour ne pas faire souffrir les troupeaux, j'essaye d'ouvrir les quelques parcelles préservées de pâture mais au bout de 48 heures, les vaches retournent aux râteliers et réclament. Résultat, je continue de donner les réserves prévues pour l'hiver. Aucune précipitation significative n'est annoncée pour les 15 prochains jours... Il faudra que je rachète de l'aliment.
Côté "marchés", la revanche des opérateurs sur les blocages d'abattoirs est en marche. Plusieurs personnes m'ont relayé l'information que les prix ne progressent plus et surtout que les règles de classements auraient été baissées d'un cran. Pour faire simple, les animaux finis partent de la ferme avec, éventuellement, un prix défini et négocié au kilo, en fonction du classement qui intervient après l'abattage. Les grands abattoirs sont loin d'ici et de toute façon, il est interdit d'assister à l'abattage. Résultat, on nous informe ensuite du classement. Aucun moyen de contrôle pour l'éleveur, toutes les rumeurs sont possibles, ce qui est peut être le cas avec celle que j'ai évoqué. Cela traduit la défiance entre "partenaires" qui existe dans notre filière viande. Cette opacité de fonctionnement laisse tout supposer, elle est décourageante. En recevant les classements des derniers animaux partis, je m'étais posé la question, un peu surpris...
Côté trésorerie, c'est l'angoisse ! Avec la sécheresse, les finitions des animaux ont pris deux mois de retard. De plus, la filière jouant contre nous, elle semble diminuer autant qu'elle le peut les volumes. En important ? Résultat, il s'écoule 6 semaines minimum entre l'annonce des animaux et le virement sur le compte bancaire. Il y a 3 semaines minimum entre cette annonce et le départ des animaux. Il faut donc les nourrir en attendant. Par rapport aux années dernières, j'ai donc plus de deux mois de retard pour l'arrivée de l'argent sur le compte de la ferme. Les échéances arrivent, elles, à l'heure. Comme depuis deux ans la mauvaise conjoncture des marchés, entretenue, a asséché nos réserves et que les services continuent de pomper allégrement, je n'ai d'autre recours que d'avoir, pour la première fois de ma carrière, un découvert en banque. Et un service de plus à payer !
Côté "subventions", c'est carrément la catastrophe. Depuis 1992, nous recevons environ 90 % des subventions entre le 15 septembre et le 15 décembre. C'est un moment charnière des charges ; Fermage, MSA, assurances, échéances des emprunts, services, tout arrive au moment des primes. Les fournisseurs l'ont compris depuis longtemps. Mais cette année, sous prétexte de réforme de la PAC, il a fallu refaire en partant de 0, toute la cartographie de la ferme. Pourtant, elle était bien établie depuis 15 ans à partir de photos aériennes, contrôlée sur le terrain deux fois, dans mon cas... Que nenni, on reprend tout, en essayant de nous gratter des ares en changeant les règles de projection géographiques (Lambert et autres), règles auxquelles nous ne comprenons rien. En fait, il y a un petit décalage entre une photo qui ne tient pas compte des reliefs et la réalité de terrain. Les cadastres étaient peut être imprécis, mais les photos, sur une ferme accidentée comme la mienne, le sont tout autant. Je l'ai vu lors des contrôles avec mesures... Au passage, je note que les impôts fonciers sont toujours calculés sur le cadastre. Pour nous faire payer, on prend une surface supérieure à celle qui sert au calcul des aides pour une même parcelle. L'état français a donc trouvé un filon extraordinaire, un hectare ne fait pas forcément 10000 m2 !!! Mais ce changement de l'année a un autre objectif. Je l'ai compris en recevant un courrier inconnu jusque là. "Suite à l'engagement du président de la république et du ministre de l'agriculture, afin de venir en aide aux éleveurs et comme nous ne sommes pas capables administrativement d'instruire tous les dossiers avant la fin de l'année vous devez nous signifier si vous voulez vraiment une avance sur vos primes en vous engageant à la rembourser si..." L'objectif initial était de décaler sur l'exercice budgétaire de l'état des dépenses 2015 en 2016! Astuce adroite pour redresser les comptes de la nation, mais cela ne marche qu'une fois. Donc, pour une récolte de l'été 2015, on devrait attendre 2016. Le plus injuste est que nous devons, fiscalement, obligatoirement intégrer les primes sur l'exercice comptable de l'année de récolte. Ainsi, elles entrent dans les recettes 2015, servent donc au décompte du prélèvement social et fiscal de cette année alors qu'elles peuvent être versées en 2016 !!! Conséquences pour moi, je ne dors plus depuis ce courrier. Si le 15 octobre et suivant, rien n'arrive, c'est le plongeon complet de la trésorerie. Une catastrophe financière puisqu'il faudra emprunter sans connaître les sommes qui nous seront allouées. Contrairement à la fanfaronnade présidentielle, il manque près de deux milliards au budget PAC de la France et le discours de Cournon est passé aux oubliettes comme les autres d'ailleurs. On a été obligé de signer des engagements les yeux fermés, pour respecter les délais, sans savoir quels seront les montants ni même le nombre d'animaux "primés". Du jamais vu. Alors les discours sur la simplification et sur l'efficacité de l'action politique ! Se réduit elle à une communication garden-party ?
Côté manifestations, en tant que militant âgé donc en retrait, je me sens très mal à l'aise. Je n'ai pas reçu un centime ni pour la crise ni pour la sécheresse. Le premier plan d'aides a du se volatiliser dans l'espace, où sont donc passés tous ces millions d'Euro ? Dès le départ, j'avais compris que c'était du bidon. Par exemple, au hasard des lignes, j'avais découvert qu'on allait avancer des aides pour des unités de méthanisation au motif de diversifier nos revenus. En appelant cela "aide à la modernisation" ! Une unité nécessite au minimum 3 ans d'instruction administrative et un investissement de 600 000 € soit plus que la valeur de ma ferme. Avant d'avoir un retour sur investissement, il faudra qu'il passe de l'eau sous le pont. Suite à la manifestation de Paris, on parle cette fois de report des annuités en fin de tableau, soit une prolongation de nos emprunts donc un endettement maintenu sur une plus longue durée. Je me demande si on ne devrait pas parler de subventions aux banques ? Il faut attendre les modalités, mais à un moment où les banques peuvent emprunter auprès de la BCE à taux quasi 0, la prise en charge des intérêts seulement, puisqu'il y aura remboursement intégral du capital de l'année, décalé dans le temps, ne leur coûte pas si cher que cela. Sauf que les taux qu'elles pratiquent ne sont pas à 0 donc peuvent effectivement représenter des milliards ... Je comprends le dépit des jeunes agriculteurs à Paris. Rien n'a été obtenu pour une réelle baisse des charges. Un autre indice me gêne vraiment, soufflé en piqûre de rappel par un ami vendredi : 70 % du prix de revient d'un porc est constitué par son alimentation. Or 49 % des céréales françaises passent en alimentation animale (sans doute plus avec les blés 2014 impropres à la consommation humaine recasés au prix fort en aliment du bétail). Donc si les éleveurs ne peuvent plus payer, qui va avoir des problèmes ? De plus, si celui qui négocie pour nous est céréalier, marchand d'aliment (et pas que!)...
On est très loin d'une politique engendrant l'adaptation inévitable des filières animales au futur et d'un soutien efficace pour permettre cette transition. La déception est immense dans les campagnes même si elle ne s'étale pas dans les journaux !