Cette nuit, où une récolte peut être perdue...
Le principe de l'agriculture, telle que soit la production, reste de tenter de déjouer les caprices de dame nature. L'annonce des gelées d'hier et d'aujourd'hui ont mis sur le pont presque tous les paysans. Le phénomène est bien connu et se répétait toutes les décades jusqu'à présent. Est ce que le réchauffement climatique en accélérere la cadence ?
Les débuts de printemps trop secs sont toujours calamiteux pour les arbres fruitiers et la vigne, compliqués pour les autres productions. La sécheresse amplifie l'amplitude thermique sur une journée. On peut passer d'une gelée le matin à des températures quasi estivales, à l'abri du vent, l'après midi. La conséquence est simple, les plantes sortent de leur état d'hibernation et entrent en reproduction, bien avant d'avoir des feuilles pour certaines... MAIS, les fleurs sont très sensibles au froid ! Donc, en cas de gel printanier, l'espoir d'avoir des fruits s'envole avec la chute des températures...
Donc depuis 2 jours, c'est la course contre la montre pour sauver la récolte de l'année. Bien que moins concerné, quoique, voici le récit de cette nuit et même d'un peu avant...
Hier, en fin d'après midi. Je fais le tour des râteliers dans les prés. Je charge la chaume avec une botte de paille. Depuis les premiers lâchers, aucun troupeau n'a touché ni au foin, ni à la paille que j'ai mis à leur disposition. Les vaches sont trop contentes de "s'enherber". Donc à 20 h, tous les animaux ont du sec, à volonté, à leur disposition. C'est très important en cas de gel car de l'herbe gelée peut provoquer des avortements. Or, les taureaux sont en action depuis un mois et demi et c'est le stade de gestation le plus sensible à ce problème. En mangeant "du sec", les vaches évitent ce stress. La bise d'Est souffle et est très désagréable.
4 heures du matin. Je me lève pour voir les vaches avec la caméra. Rien de spécial, si ce n'est qu'une partie du lot qui peut entrer et sortir, est revenu en stabulation. Ce n'était pas le cas ces dernières nuits. Je pense aux vignerons qui ont témoigné hier dans les médias, annonçants qu'ils allaient mettre le réveil sur 4 heures... Combien de paysans sommes nous levés à cause de dame nature ? Je sors lire le thermomètre : -2° C ! Sachant que j'ai remarqué qu'en hiver, on perd 2 degrés en fin de nuit, je retourne me coucher en tablant sur un -4°C pour le lever du jour ! Soit un degré de moins que ce qui a été annoncé. J'imagine le stress chez mes amis vignerons s'ils sont déjà sur le front...
6 h 45 ; Je me lève. Une fois n'est pas coutume, après le visionnage caméra des stabulations, je sors lire le thermomètre: -4°C !!! Un 14 avril, c'est la cata... Je rentre prendre un café chaud et voir les infos tout en tweetant... Ainsi, une nouvelle fois, ces quelques heures gelées vont être catastrophiques et mettre en péril une année de récolte. Bien sûr, cela fait partie du métier. Sur tweeter, les premières photos des vignes éclairées par les bougies et les feux de paille sont publiées. Les premiers commentaires dénonçant une prétendue pollution fleurissent. Sans doute qu'importer des fruits ou du vin par bateau ou en avion, pour combler les déficits que vont générer le gel est moins polluant !!!! Pour les néophytes, c'est beau. Pour les paysans, ces lumières sont angoissantes. Quelle est l'efficacité réelle de ces moyens déployés, bien précaires et insignifiants au regard des surfaces à protéger ?
8 heures et plus : Tous les râteliers sont entamés. Pas beaucoup, mais cela témoigne du besoin des animaux d'avoir trouver un peu d'aliment sec à manger. Je ne sais pas si cela est suffisant et efficace. J'aurai fait tout ce que j'ai pu... Il faut attendre 9 H 30 pour que les rayons du soleil réchauffent enfin un peu. Ça a bien cogné !
10 H 50. Au loin, les cloches du village sonnent. Hasard du calendrier, les rameaux coïncident avec cette nuit de gel intense. C'est l'heure de la procession, moment où le vent qui souffle détermine le vent de l'année. Je lève les yeux vers la girouette. Plein Est!!! Mais le souffle est peu établi. La lecture pessimiste de ce vent annonce une année sèche et froide. J'ai une autre lecture : Nous avons eu le même vent il y a quelques années, avec les mêmes craintes. Pourtant l'année avait été marquée par des tas d'orages. J'envisage donc cette seconde hypothèse, en redoutant malgré tout la première.
12 heures. Je me mets à mon clavier pour vous relater cet événement climatique. A la boulangerie ce matin, j'ai entendu "Il fait frisquet ce matin!". De plus en plus déconnecté de la réalité de la nature, pour la plupart de nos concitoyens, cela n'a pas d'autres conséquences qu'un peu de gaz ou d'électricité consommés en plus pour le chauffage. Cela passera inaperçu. De toute façon, il y aura des fruits cet été sur les étals des grandes surfaces. Ils viendront d'ailleurs si les vergers français ont gelé ce matin. Idem pour le vin. Beaucoup critiquent la mondialisation, sans se rendre compte, que sans elle, il serait très difficile de trouver la diversité alimentaire indispensable à une alimentation équilibrée ! Le pire, ce sont ceux qui critiquent tout, qui voudraient revenir à la nature mais qui sont à mille lieux de penser que la disette faisait partie de la vie d'une immense majorité de la population il n'y a pas si longtemps (tickets de rationnement pendant et après la guerre de 40 en France !)
Après cette nuit, presque tous les paysans vont scruter les dégâts du gel dans les prochains jours, les prochaines semaines voir les prochains mois. Les premiers à lire la nature seront les arboriculteurs et les vignerons, qui compteront les bourgeons "brûlés" dans les tous prochains jours. Suivront les cultivateurs qui surveilleront les levées, toutes les plantes sont très sensibles la sortie de terre. Plus tard, on "lira" les écarts de rendements de certaines céréales, trop en avance, au moment des moissons, en fonction de l'orientation des parcelles... Pour les éleveurs, dans les prochains jours, c'est la santé des veaux qu'il faudra surveiller, entre coup de froid et diarrhée blanche. Pour la pousse d'herbe, c'est blocage jusqu'à la prochaine vraie pluie. Ceux qui auraient semé des pâtures il y a peu et qui seraient en phase levée peuvent devoir recommencer. Nous ne verrons pas avant quelques semaines si des vaches ont "coulé", à ce stade de gestation, il faut attendre les retours de chaleur pour savoir.
Je terminerai en remerciant France Infos pour le reportage sur les viticulteurs de France hier soir. Il a du passer au journal de 20 h sur A2 hier soir. Merci au JSL d'avoir relayé l'info de l'action des viticulteurs du mâconnais dès hier soir. Anodin pour la majorité, cet excès climatique montre la fragilité de l'agriculture face aux événements climatiques. Puisse chacun en reprendre conscience avant de stigmatiser systématiquement les agriculteurs !