Rat des villes oublie rat des champs ou le mépris de l'adversité vécue dans les campagnes !
L’abondance déconnecte notre société des réalités naturelles. Prêt de 80 % de la population française vit aujourd’hui en ville. Il y a bien eu quelques craintes lors du premier confinement sur la chaîne logistique alimentaire, vite dissipées par le sérieux et le devoir professionnel des acteurs, du paysan à la caissière de supermarché ! Vite dissipée, donc vite oubliée…
Ce matin à 7heures : prévisions fausses, c'est pire !
Les propos étaient surréalistes ce matin sur l’A2 au moment de présenter la météo du jour. La miss météo, dont on sait qu’elle est adepte du soleil à tout prix, on a déjà pu le constater au cours des sécheresses de ces dernières années, sévit à nouveau. « C’est la plus belle journée de la semaine, profitez-en bien, car ce week-end, ce ne sera pas terrible avec le retour de la pluie… » Elle serait parfaite pour présenter la météo du Sahara ! Laurent, qui a visiblement oublié sa vie d’avant dans le Berry ou en Auvergne, en rajoute… Les journaux télévisés qui suivent ne font aucun cas de ce qui se vit dans les campagnes… On évite toutefois le pire puisque ce matin, il n’y a pas un de ces invités réguliers qui refont souvent un monde qu’ils ne connaissent pas ou si peu. Il ne recevra jamais un paysan ou un rural, cela ne ferait pas assez « branché » !
Au même moment, depuis plusieurs heures, un combat, perdu d’avance dans bien des cas, se livre dans les campagnes. Un gel terrible étreint quasi la France entière. S’il y a une information essentielle ce matin, comme les deux jours d’avant, c’est bien celle-ci ! Bon nombre de récoltes sont en danger de disparition pour cette année, emportées par des températures mortifères. On s’attendrait à des directs depuis la campagne pour montrer la lutte avec des moyens dérisoires contre ce fléau. Car dans bon nombre de cas, c’est toute la récolte d’une année qui va être emportée, une année sans revenu ou très fortement minoré pour des viticulteurs, des arboriculteurs, des maraîchers, des cultivateurs et même des conséquences indirectes pour les éleveurs… Bref, c’est toute l’agriculture qui est touchée, dans le silence impressionnant de l’A2, la chaîne que je suis à ce moment-là, et sans doute des autres chaînes télé. Rat des villes ne se sent pas concerné par ce que vit rat des champs ! Quand rat des campagnes voit les récoltes détruites, rat des villes se félicite de ne pas devoir prendre son parapluie.
Les cerisiers de mon jardin !
L’exemple de ce qui s’est passé ce matin sur la chaîne publique est le reflet de notre civilisation de nantis. Le nombrilisme parisien a des œillères. Cet été, on verra le résultat : Les fruits français seront absents des étals mais qu’importe puisqu’on peut en faire venir de l’autre bout du continent ou du monde. A ce sujet, certains internautes critiquent les feux dans les vignes et vergers au motif de pollution mais ne s’interrogeront pas sur le CO2 dégagé par les transports pour approvisionner leurs assiettes en produits manquants suite au gel. Car notre société est pleine de contradictions. Par exemple, il y a eu un débat opposant défenseur de serres chauffées à ceux de serres froides pour l’agriculture biologique ! Au lieu de définir une règle de bonne utilisation du chauffage, on a choisi la mesure radicale. Dans ma région, ce matin, sans fraude, un paquet de légumes bio ont gelé donc manqueront pendant plusieurs semaines ! Résultat, il faudra les faire venir d’ailleurs. Ce n’est qu’un simple exemple pour montrer que les affirmations sont faciles, l’art plus compliqué. En agriculture, quand on s’interdit l’emploi d’une technique, on s’expose à créer une pénurie. On devrait passer son temps à définir la notion de bénéfices/risques donc la bonne pratique plutôt que d’avoir des positions lapidaires et définitives. Les vaccins Covid nous ramènent à cette réflexion. L’approche de notre alimentation ne peut pas être segmentée en fonction d’une conviction, elle doit être globale !
Hier, sur les réseaux sociaux, j’ai pu lire des commentaires incroyables. Mr Patrick Chêne, ancien journaliste devenu viticulteur, faisait part, comme d’autres, de son désarroi. Il se sentait impuissant face à l’ampleur du désastre. Ce à quoi, un internaute bienveillant, lui suggérait de couvrir ses vignes. Le mec s’imaginait dans son lit, tirant sa couette. Mais là, il aurait fallu une couette de 13 ha et encore ; à -5°C et moins, il n’est pas certain que cela suffise !!! Ailleurs, on lit « Ils n’ont qu’à protéger leurs cultures… » J’ai évoqué les moyens possibles avant-hier, certains marchent jusqu’à -3°C. Très peu, voire aucun, sont efficaces en dessous ! Les « Y a qu’à » fleurissent sans aucune compétence. Même au XXI è siècle, l’Homme reste démuni devant les coups de colère de dame nature.
Remarquez le courage de l'auteur qui a annulé son tweet ! Debut de sagesse ?
Mais quelle est la perception de la nature quand on vit en ville ? Rien que le comportement d’un citadin en cas d’orage démontre la perte totale des repères, même les plus simples… Cela ne me gênerait pas si chacun restait dans son domaine de compétences. Le souci est que quelques-uns se permettent de donner des conseils, de juger voire d’interdire.
J'ai essayé de protéger mes mirabelliers !
Pourquoi m’épancher ainsi ce matin ? D’abord, en plein débat sur la PAC, cet aléa climatique majeur doit rappeler à tout le monde que l’agriculture est un exercice fragile. Avant de rajouter des normes dans tous les sens, il serait sage d’assurer l’essentiel qui est d’avoir une récolte ! La mondialisation sécurise nos approvisionnements certes. Mais elle ne doit pas nous faire perdre de vue que si c’est une très bonne chose en cas d’accident climatique, cela ne peut pas devenir récurent ! Donc il faut reconnecter villes et campagnes pour le bien de tous. Ensuite, il y a un courant de pensée actuellement qui idéalise le chasseur/cueilleur d’avant l’apparition de l’agriculture. Pour rappel, l’espérance de vie de l’époque est estimée à 20 ans par les recherches !!! Un épisode de gel comme ces derniers jours les aurait privés de fruits et baies pour une année, les obligeant à rester chasseurs uniquement. On imagine le déséquilibre alimentaire et ses conséquences. Pour moi, cette utopie nie nos origines, nie le progrès ! Je n’ai aucune envie de redevenir un chasseur/cueilleur même si je serai certainement mieux préparé et armé que beaucoup d’autres pour affronter une telle éventualité. Tout simplement parce que je suis en permanence au contact de la Nature. C’est aussi pour cela que je crois au progrès et m’interroge en permanence sur sa bonne utilisation plutôt que de le rejeter…
Et un pommier... Sans garantie de succès !
C’est une autre philosophie de la vie que mes enfants, urbains, ont envie de partager en revenant s’installer en campagne le plus vite possible ! Car la vie citadine, déconnectée de la nature n’est pas la panacée… Une philosophie qui remplace le principe de précaution par le principe d’utiliser tout ce qu’il est possible de mettre en œuvre pour minimiser les excès de dame nature, tout en admettant les limites de l’exercice donc en étant fataliste parfois ! Car cette nature que l’on voudrait vierge, encensée et idéalisée par certains, n’est pas toujours aussi sympathique que cela !