Non, ce n’était pas mieux avant ! Dommage je manque de photos pour le montrer…
J’ai retrouvé de vieilles photographies, prises sur ma ferme dans les années 72, 3 ou 4 ans avant l’avènement du round-baler. Pour moi, cette arrivée, comme celle de la moissonneuse-batteuse un peu avant, a marqué une étape majeure de la révolution verte, enfin celle des années 60 ou celle de la mécanisation. Elle a changé les façons de travailler de façon inexorable… De même la révolution numérique bouleversera une nouvelle fois l’agriculture mais c’est un autre sujet…
Je vais faire une remarque préalable. On ne se rend même plus compte de la vitesse à laquelle les techniques ont évolué. En 1972, je n’avais qu’un petit appareil photo kodak, pour faire des mini-diapos. Pellicules et développements coûtaient chers et on ne faisait pas beaucoup de photos, encore moins de celles qui concernaient la ferme. De plus, le boulot primait et il était inenvisageable d’arrêter un chantier, même quelques minutes, pour photographier. Du coup, je n’ai pas de mémoire visuelle des travaux si ce n’est quelques photos. Je le regrette car cela tordrait le cou à certaines affirmations erronées !
Cette photo a été prise dans le « pré du château », nommé ainsi pompeusement car de château il n’y a qu’une bâtisse, très très ancienne il est vrai. Le site a été baptisé par les romains ! Dans l’ordre de fauche des parcelles, c’était une des dernières, donc on était au début ou mi-juillet. En scannant la pellicule, j’ai été surpris de découvrir un char aussi haut ! Il devait compter plus de 200 bottes de basse densité. Je dirais, de mémoire, 220 minimum, pesant chacune 5 à 6 kilos. Au sol, c’est mon père, qui chargeait avec moi. En fait, on tendait les bottes avec une fourche, un de chaque côté du char, à Raymond, qui faisait le char. Pour arriver à une telle « construction » éphémère, il fallait que celui-ci serre bien les bottes en utilisant ses genoux et en croisant les rangs. Je me souviens bien de la façon de procéder et je saurais refaire si besoin. Cet empilement ne devait pas altérer les bottes pour ne pas les éclater car le problème était bien qu’elles ne se délient pas… On utilisait de la ficelle sisal.
Une fois le char terminé, on passait une corde de l’avant à l’arrière, pour l’attacher. L’objectif était de transporter le chargement sans qu’il « coule » ou verse… Les secousses pour sortir des prés, les traversées de fossés, les chaos des chemins que l’on n’avait pas les moyens techniques de rencaisser, les descentes abruptes avec de petits tracteurs qui s’emballaient facilement, tout cela rendait ce transport assez aléatoire. Sur une saison, on avait au moins deux renversements et bon nombre de chars « coulés », c’est-à-dire ayant perdu une bonne partie de son chargement…
Arrivés à la ferme, on déchargeait. L’un d’entre-nous montait sur le char et jetait avec une fourche les bottes une à une sur un « tapis », qui montait les bottes sur le fenil. Là, à deux ou trois, on empilait selon le même principe de serrer au maximum les bottes les unes contre les autres, en croisant les rangs. L’objectif était bien sûr d’en faire tenir un maximum mais également d’avoir un lit stable pour continuer de monter sans « s’enliser » dans les rangs inférieurs. Gare à nous si on laissait des trous.
Pour situer un chantier, imaginez-vous en plein été, par 30 °C et plus, chargeant dès 14 h 4 chars de suite puis allant en décharger dans la poussière des fenils, 2 ou 3, voir tous, selon les restes à charger pour retourner ensuite terminer le chargement juste avant la nuit. On ne laissait jamais de bottes non empilées de peur des orages… Tous les chars devaient être chargés les soirs pour être déchargés au lever du jour le lendemain matin, » à la fraîche ». On commençait à 6 heures du matin, il n’y avait pas de changement d’heure à l’époque. On se levait une demie heure avant pour être prêt soit vers 5 heures 30 !!! Après l’opération de déchargement matinal, puis après la « soupe », on faisait le tour des troupeaux sauf celui qui partait faucher. J’ai deux ou trois photos de la suite de la matinée donc j’y reviendrais.
L’après-midi, le chantier mobilisait 5 à 6 hommes au minimum les jours de grand beau temps ! On embauchait des ouvriers des forges selon leur poste puisqu’ils faisaient les 3 huit. Ma mère abreuvait tout le monde ce qui n’était pas une mince affaire. Elle apportait aussi les 4 heures, mon moment préféré, où on mangeait du saucisson, du pâté et du fromage à l’ombre d’un arbre… Inutile de vous dire qu’on ne prenait pas de poids ! L’effort physique était intense… On ralentissait aux périodes de mauvais temps et d’orage, on accélérait les belles journées ensoleillées. Au total, les foins duraient un mois et demi au moins et on enchainait avec les moissons pour trois ou quatre semaines. On faisait de 75 à 90 chars de foin par an ! Pour rien au monde, je souhaiterais travailler à nouveau de cette façon. Sauf je l’avoue, pour ma musculation, car nous n’avions pas besoin de salle de sport, ni besoin de soulever de la fonte !
Non, ce n’était pas mieux avant !
A cette époque, les foins étaient le facteur limitant de la taille des troupeaux de nos fermes. C’était la capacité à mobiliser de la main d’œuvre à cette période qui conditionnait le nombre de vaches. La difficulté du recrutement a accéléré l’arrivée des round-baler et la sécheresse 1976 a modifié l’approche globale de l’élevage…