Autonomie énergétique et neutralité carbone de la ferme ? Acte 1 La recherche de références…
Je rappelle le contexte de cette série de billets. Un lecteur m’a demandé de livrer mes suggestions d’évolutions techniques pour tendre vers l’autonomie et la neutralité carbone de ma ferme. Heureusement, il me donne 20 ans pour l’exercice. Celui-ci est complexe car il touche à tous les aspects de la production et de mon travail.
Pour aborder un tel sujet, il faut des références scientifiques. Le carbone ou le méthane ne se voient pas. On ne mesure pas les quantités produites ou stockées en regardant un pré, un bois ou une terre. On n’apprécie pas à l’œil nu les émissions de méthane d’une vache. Ces mesures ne peuvent être que le fruit du travail des scientifiques. On ne peut s’arrêter à des affirmations claironnées à la cantonade dans les réunions politiques ou sur les plateaux télé. La vulgarisation des résultats est donc essentielle. Il faut des relais d’informations crédibles, simples, efficaces et accessibles. On ne peut aborder un tel sujet en « aveugle »!
J’imagine sans réserve le rôle d’écologues pour répondre à cette exigence. Je parle bien d’écologue, pas de d’écologiste militant ! J’entends par là des personnes compétentes pour avoir une approche globale des conséquences d’une production agricole sur le biotope, sans à priori. Cela existe, j’en ai rencontré un et j’aurais aimé poursuivre une vraie étude de ma ferme avec lui. Mais je n’étais pas dans la bonne région administrative pour la financer !
Face à l’urgence climatique, si l’on veut faire avancer les choses assez vite, il faut vulgariser les démarches sur le modèle des années 60 ! Je m’explique : L’erreur actuelle est de vouloir tout imposer de façon descendante sans tenir compte de l’expérience des acteurs de terrain. Quand on parle de « politique écologique », on ne l’envisage qu’avec des normes, des règlements, des interdictions ! Un conférencier, qui intervenait récemment sur un autre sujet devant des agriculteurs, faisait remarquer que les décisions sont prises au cours de réunions nationales par des participants dont aucun n’est concerné directement. Difficile alors d’impliquer et de responsabiliser les acteurs de terrain. La sanction-répression devient la seule solution pour faire appliquer des décisions pas toujours pertinentes. C’est démotivant par rapport aux enjeux réels du moment.
Comment faire pour que tout paysan se réapproprie le leadership de l’écologie sur sa ferme ?
Déjà, il faut être sensibilisé aux problèmes. Nous avons la chance de pouvoir partager facilement les informations grâce aux outils numériques. Des vidéos aident à prendre conscience, par exemple celle-ci que je vous conseille de prendre le temps de visionner…
Si je devais concrètement aborder le sujet aujourd’hui, je commencerais par prendre contact avec la chambre d’agriculture ou autre organisme pour faire un premier bilan « carbone » de la ferme. Cela permettra de faire une photographie à l’instant T, même si je dois payer le service.
Pour la suite, j’ai envie de rêver un peu. Pour continuer la démarche, j’imagine un programme informatique en ligne, accessible depuis ma ferme, gratuit, où mes données seraient entrées. L’objectif serait de pouvoir faire ensuite des simulations dans tous les sens, n'importe quand, sur chacun des postes, sans se poser de question du prix du service. C’est la seule solution pour que des idées nouvelles émergent. Par exemple, en adoptant telle ou telle technique, quel serait l’impact carbone sur ma ferme ? Il faut laisser la place à l’innovation et l'imagination. En la matière, les paysans n’en manquent pas. Tout ceci serait supervisé par des spécialistes qui mettraient à jour le programme avec les dernières découvertes. Bien sûr, il faudrait ensuite pouvoir les contacter pour éventuellement approfondir un sujet.
Bien entendu, il est fondamental d'échanger avec d’autres éleveurs, exploitant dans des conditions comparables,surtout lorsque leurs pratiques ont de meilleurs résultats que les miennes. C’est en cela que de reconstituer des groupes de travail est fondamental, comme les GVA et CETA l’ont fait dans les années 60. L’avantage d’Internet est qu’une partie de ce travail peut se faire à distance même s’il faut garder des moments de rencontres physiques conviviales… L’écologue ou le technicien doit être un animateur ou un référent technique et ne pas imposer une vision unique.
Je n’envisage pas que ce travail de réflexion soit déconnecté des enjeux financiers de la ferme, ni des enjeux techniques ! Si on veut que les agriculteurs investissent et s’impliquent sur le climat, il faut que les démarches soient très pragmatiques. Un exemple : Aujourd’hui, avec la flambée du prix de l’énergie, le coût d’un kg d’azote minéral explose. Les instituts techniques proposent des abaques pour déterminer le seuil où le coût des unités à apporter sur un blé sera supérieur au prix du quintal supplémentaire espéré ! Dans cette approche, on ne cherche plus le rendement maximum mais le rendement optimum ! C’est compliqué car on ne connait pas le potentiel rendement de l’année climatique, ni le cours du blé dans un an et encore moins le coût de l’énergie donc des intrants… Mais avec un tel document, on peut avoir une notion de la prise de risques. Sans cette approche, on peut perdre beaucoup ! J'imagine la même démarche pour les évaluations "carbone".
Nous avons donc besoin d’outils de simulation rapides qui puissent permettre d’entrer en temps réel les données quand leur valeur varie. Il faut une approche intégrant la notion de réchauffement climatique sur les choix ! A l’identique des plans de financement des investissements, nous pourrions intégrer les données « carbone » ! On ne peut rester figé sur un modèle mais être flexible grâce à l’interaction numérique. Car le réchauffement climatique amène à des événements inédits et des répétitions aléatoires de situations extrêmes. Il ne faut pas une gestion d’exploitation rigide mais une ligne directrice avec une capacité d’adaptation en temps réel. C’est un vrai changement pour nous, d’autant que comme une industrie lourde, les capitaux engagés sont conséquents et le sont sur des périodes longues !
On ne peut réduire le sujet à la capacité de stockage carbone des prairies pour se rassurer. Si sa rémunération est un premier petit pas, l’optimisation des rejets est tout aussi important. C’est donc un équilibre d’ensemble qu’il faut trouver ! Et c’est vers cela que je tenterais de revenir modestement avec des exemples concrets…