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  • Paysan retraité, ancien éleveur de charolaises, qui regarde l'agriculture,les événements et la société depuis sa cour de ferme. Ma devise : " Prendre ce que la nature veut bien me donner. Vivre avec ce que les hommes me laissent !"
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7 juillet 2007

Lecture 2

Si vous arrivez ici, ne lisez pas la suite sans avoir parcouru les 3 derniers posts... Non pas pour vous contraindre à quoi que ce soit, juste pour comprendre !

Je ne reviens pas sur la cérémonie !...

Je me porte vers l'ambon , je sors mes feuilles de ma poche, en bas à droite. J'avais vérifié leur présence discrètement dans le car. Je ne savais pas qui était au courant ! Avant de monter dans le car, j'avais pu parler un instant avec une jeune cadre, la pieuvre m'étouffait et je ne savais comment m'en débarrasser. Le fait de parler m'a fait du bien. Mais en parler plus n'aurait fait qu'accroître la pression. Ces quelques instants m'ont juste permis de m'assurer du bien fondé d'un truc... Mes feuilles, j'ai deux exemplaires pour le cas où ! Celui de secours est dans ma poche intérieur droite mais c'est une version non corrigée... Je les déplie en tremblant, j'ai du mal avec mes gros doigts, j'ai l'impression de mettre un siècle...Tout ces gens qui me regardent ! Les trois feuilles sont là, je vérifie l'ordre...

Depuis 24 heures, je connais le premier mot. Mille fois dans ma tête, j'ai révisé l'intonation... Par expérience, je sais qu'il détermine les 3 minutes suivantes. Je sais par coeur les 2 premières phrases... Mais dans toute répétition, l'ambiance, l'émotion de l'instant n'existent pas ! Dans ma tête, tout se met en place, mais en regardant, le cercueil, le premier banc, Sa femme, Ses deux enfants, tout se trouble... Je ne suis pas dans une réunion, ni dans une salle, je suis dans une église, à côté de la dépouille de JJ. Il ne mélangeait pas travail et famille. Je n'avais donc rencontré son épouse qu'une seule fois au cours d'une visite organisée. C'est en m'adressant à Elle que je dois commencer. Mes yeux cherche son regard, mon premier mot se veut doux et "portant", tout le monde doit entendre sans être agressif, mon texte n'est pas un discours mais un témoignage !

Je n'ai jamais revu JJ depuis le début de sa maladie. Il n'a jamais cherché à prendre contact. Je ne lui en veux pas, je suis comme lui, très très pudique ! Nous ne savions rien de cette maladie, nous savions qu'il allait plutôt mieux ces derniers mois, mais le cactus ne laissait qu'un peu de répit. Et cette nouvelle lundi, qui nous a tous surpris. Un regret m'oppresse depuis, il est parti sans que je ne me sois manifesté! Je ne sais pas m'imposer, je respecte trop les autres... Peut être aurai je du envoyer un mot, un message ??? Oui, mais je ne l'ai pas fait, je m'en veux ! Je n'ai pas su ! Et maintenant, en 3 ou 4 minutes, je voudrais effacer ce silence ! Dans ma tête, tout se met à tourner très très vite, j'inspire profondément :

"....". Le premier mot a été terrible, j'ai la voix cassée par l'émotion. Je ne parle plus seulement en mon nom personnel, même si j'y mets tout ce que je viens de vous écrire, je parle au nom de tous les membres de l'entreprise. Instantanément, je relève le ton et assure ma voix. Je lis ma feuille, refuge pour ne pas me laisser submerger par les larmes... A ma grande surprise, je parviens à m'en détacher et à chercher le temps d'un instant les regards ! Je dois trouver le bon rythme. Mes 2 correcteurs m'ont tous les deux dit que je prenais un risque avec la taille de mon texte :" Il est très dense, moi, à votre place, je n'irai pas au bout... Trop d'émotions ! Oui, je ne pourrai pas le faire " Oui, mais je dois le faire ! Pour cette confiance qu'ils m'ont accordé ! Pour que le travail de JJ laisse une trace !

J'ai trouvé un rythme. Pour la première fois de ma vie, je suis esclave de mon texte ! Je ne peux changer un seul mot! Je déraille en voulant mentionner les parents de JJ que mon demandeur a repéré au cours de la cérémonie. J'ai l'impression d'être dédoublé... Un oeil sur la feuille, un oeil sur les visages, un oeil sur la famille... Je prend le temps de respirer mais comme je me connais, je ne m'attarde pas ! Le bout, le bout... J'ai imprimé en caractères gras les mots clés, ceux qui comptent, je vais donc de l'un à l'autre, connaissant par coeur le contenu intermédiaire... De bornes en bornes, l'esprit accaparé par la lecture,  la ponctuation ,  l'intonation... C'est à ce moment que je mesure la différence qu'il y a entre lire un texte et lire son texte !

Mais la pieuvre est toujours là, attendant le moindre faux pas. Il faut que j'aille au bout, le bout toujours comme objectif.... Je reprend mon souffle à la fin de la première page, elle correspond à la fin d'un paragraphe heureusement. Je me suis rendu compte après impression qu'il n'en serait pas de même pour le passage de la seconde à la troisième ... Je déroule, d'une voix que j'espère assurée malgré l'étreinte... La pieuvre; le silence dans l'église, ces regards tournés vers moi sont ses alliés. Elle appuie très fort au moment où je me retourne vers le cercueil pour m'adresser directement à JJ. Mais la providence veille et curieusement au moment où j'ai l'impression de craquer, une forme de paix m'envahit ! Le cerveau humain est ainsi fait, en cas de tension extrême, la capacité d'analyse se démultiplie ! Il est un temps en avance sur le présent. Je lis ma feuille, j'ai le temps d'analyser le mot , d'y mettre le ton et ensuite, il sort de ma bouche, mais je suis en fait déjà au suivant...

J'arrive au dernier paragraphe... Le devoir de mémoire que j'évoque en m'adressant directement à l'épouse de JJ. Sa fille éclate en sanglots ! Je n'aurai pas du jouer avec les mots comme cela, mais en même temps, des mots lisses n'auraient aucune portée... Je vois des larmes sur tous les visages du premier rang. A nouveau, mon coeur se serre à tel point que je voudrais m'arrêter! Mais je dois aller au bout ! Je n'ai pas le choix, ne serait ce parce que dans l'assistance, au moins une personne connaît la chute et qu'elle redonne tout le sens à mes propos... J'accroche sur une phrase, je me suis laissé prendre par le regard de cette femme qui pleure. Je m'interroge , m'implore t'elle de mettre fin à son calvaire ou est elle bouleversée par le témoignage que j'essaye de faire passer ? Je suis plein de remords, je n'aurais pas du accepter, rester lisse et froid, parler banalement....

Je ne peux pas craquer maintenant, je dois finir quoiqu'il m'en coûte ! Je ne cherche plus à cacher mon émotion derrière mon pupitre, je relève les yeux, je prend mon souffle... Je suis sûr que c'est ce qu'attend JJ là où il se trouve " Va au bout sinon ma partie "travail" sur cette terre n'aura servi à rien ! Un paysan sème pour récolter. Même si ce n'est pas lui qui récolte, il ne peut admettre que son travail de semis soit perdu" ... Je regarde les gens devant moi, je ne les reconnais pas mais ils me donnent sans le savoir la force de prononcer les derniers mots, lentement mais avec détermination, je l'espère : " Continuer son action !"

J'ai envie de fondre sur place, de disparaître ... Tandis que le prêtre dit des mots qui resteront un grand moment gravés dans ma tête je rejoins un coin de l'église . Qui peut comprendre et qu'importe ? Je ne reprends pas tout de suite la file, j'ai besoin de me reprendre et je le fais , oui, je l'avoue, en priant ... Un moment après, lorsque le prêtre vient discrètement pour s'excuser pour ce qu'il prend pour un impair, tout surpris de sa démarche, j'esquisse une amorce de sourire en forme de réponse qui lui en dit plus long qu'un discours... Je le lis dans ses yeux !

Ce post doit vous paraître bien déplacé ! On est loin des vaches habituelles ! Je ne peux expliquer ce besoin d'écrire ces mots. Exprimer un remord ? Besoin de confier mes doutes ? Besoin de me rassurer ? Mme PH avait la tête ailleurs quand elle m'a téléphoné hier en fin d'après midi, toute absorbée par les soldes. Je ne saurais sans doute jamais la portée réelle de mes propos ! Je pense que l'épouse de JJ va tourner une page et que je ne la rencontrerais jamais. Les quelques mots dits ensuite par les uns ou par les autres sont ils de convenance ou sincères ? Ce moment a été très important pour moi et j'ai l'impression de l'avoir finalement vécu dans la solitude !

Tu vois RDT, il n'y a pas que Toi qui se posent des questions, la résolution des unes entraîne souvent la naissance des autres... Le seul qui sait ce que représente ce que j'ai vécu  , c'est JJ .

Finalement, écrire ici est peut être tout simplement un acte égoïste , pour retrouver un peu de paix !

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Commentaires
S
Bravo pour ton courage et ta sincérité PH, et pour cette introspection en 3 posts. On est complétement avec toi du début à la fin du texte, tu as très bien fait passer ton émotion.<br /> <br /> C'était juste et touchant, ce qui ne m'étonne pas de toi. Sans avoir été là, je sais que tu as su trouver les mots juste, et si des pleurs il y a eu, tu ne dois pas les attribuer à des termes déplacés.
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D
J'ai fais ca aussi ..... Pour l'Ange.... On m'a dit au lendemain de son envol "tu sais bien ecrire toi tu veux pas ecrire quelque chose ..." .. pendant 1 semaine (la pire de ma vie) chaque soir je mettais du son très fort dans les oreilles.. Son "son" ... et j'ai norci une page... Cette page est toujours avec moi .. dans mon porte feuille... je n'ai jamais pu terminer cette "page" de facon triste .. ne me reste que ces derniers mots ecrits "Alors je te prepare un café, un sucre, remué, je t'allume une cigarette.. a tout suite.." <br /> Je l'ai recité telle une zombie... mais très assurée... ca restera gravé !!!
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R
Ben parfois, on regrette VRAIMENT de ne pas te connaître physiquement, de ne pas faire partie de ton cercle d'amis, de ton cercle d'intimes.<br /> Ensuite, oui, résoudre des questions en fait naître d'autres, et je te parle en connaissance de cause, mais l'effet thérapeublog, dans ces cas là, est important !<br /> <br /> Enfin, il y a quelques années, ma belle soeur a perdu son Papa. Il n'était pas croyant, communiste convaincu, refusant le baptème pour ses enfants et tout et tout... et lors de la cérémonie civile, son associé a pris la parole et a retracé, avec ses tripes, son parcours d'Homme. J'ai vu sa fille (ma belle soeur) s'effondrer, petit à petit, commencer par se tasser, puis ne plus tenir sur ses jambes, et exploser en sanglots.<br /> Quelques semaines après, nous en avons reparlé, elle et moi, de ce moment là, si émouvant (même moi qui ne connaissais pas son Papa, j'ai ressenti une émotion me ravager) et elle m'a confiée que ces mots là, prononcés par cet homme là, l'avait aidée bien plus que tout, à faire le deuil et à garder de son père, une image d'homme !<br /> J'ai souvent pensé à mes funérailles (oui, je sais, bizarre comme idée puisque j'ai 40 ans, mais en même temps, j'ai toujours été excessivement convaincue de ne jamais passer le seuil des 40 ans ???) et je crois que j'aimerais une cérémonie toute simple, ainsi, où chacun dirait un mot sur ce que nous avons partagés, et y compris les moments où mon sale caractère a pris le dessus, et où j'ai été odieuse, chiante, mais vraiment moi !<br /> <br /> Donc, tout ça pour dire que je pense que même si ce moment a été excessivement difficile pour toi, ô combien émotionnel, même si tu as eu provoqué une explosion de sanglots, et même si je ne sais exactement quels étaient les liens qui vous unissaient, toi et lui, nul doute que ses très proches garderont de ce moment un moment très fort, et le témoignage de notre Val' en est la preuve...<br /> <br /> Je t'embrasse très fort, même si je lis ces mots là bien longtemps après le moment où ils t'ont autant tourneboulé !
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R
euh, bon, je vais au numéro 1 alors...<br /> Ouh la laaaa, il devient directif, l'ami PH ;-)
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M
Cette lecture était un bel hommage à l'homme qu'il était, quand quelqu'un fait parler son coeur il ne doit pas avoir de regrets. Les mots du prêtre vont dans ce sens. Debout pour faire frond et rendre hommage au travail.<br /> Merci encore, même si lors du retour je n'ai rien dit, l'émotion était encore forte d'avoir vu sa fille éclater en sanglots.
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