Dame nature ne donne jamais pareil...
Il est difficile de traduire simplement les sautes d'humeur de dame nature. Aucune année ne ressemble à une autre et jamais une même parcelle, même conduite de la même façon, ne produit la même chose. Je note beaucoup de choses mais l'avalanche de chiffres est souvent inexploitable. Le nez du paysan reste un indicateur sûr et sa capacité de réaction, tant qu'il restera maître des décisions, est sans aucun doute la vraie force de la profession !
Pourtant j'ai quelques repères pour étayer mes propos. J'ai une parcelle étalon. Elle est située sur le périmètre de protection des puits de captage de la commune. Elle ne reçoit aucune fumure, aucun animal n'y pâture, elle est simplement fauchée une fois par an. Cela dure depuis plus de 10 ans, c'est donc la parcelle témoin par excellence. Le tableau des bottes faites chaque année révèle pourtant une variabilité importante des récoltes : De 4 à 10 suivant les années. ( Elle fait 1 Ha , cela donne la production d'une parcelle qui ne reçoit aucun engrais )
Prenons maintenant celle que je considère comme une des meilleures... 9.2 Ha conduit à peu près de la même façon ces dernières années !
On passe de 60 à 197, soit de un à trois. En fait, le chiffre de 2003 , année de sécheresse dramatique, montre l'effet fumure des autres années. Sans eau, pas de pousse. Tandis que si on exclue 2003, la variation en % est moins importante ( 138 à 197 ) que dans la parcelle précédente. Au plus bas, on est tout de même à 15 bottes/ha pour monter à 21 bottes/ha... Vous comprendrez que je sois interrogatif lorsqu'on me demande de supprimer les engrais ! Avec seulement le fumier ( je le mets aujourd'hui) , il faudrait diminuer le nombre de vaches...
Reste le graphique clé , celui qui remplace les greniers de mon père ! A cette époque là, on savait en fonction du remplissage du grenier. Maintenant, on compte les bottes :
La moyenne des parcelles est plus régulière, c'est le savoir faire paysan qui joue suivant les années sur les déprimes et les parcelles à récolter. Mais quand on tombe sur un vrai accident climatique, on ne sait plus faire. 1976, 2003 des années catastrophes...
J'ajoute que je suis incapable de vous donner le nombre de bottes nécessaires pour que tout aille bien. Disons, en année normale, que 550 bottes font l'affaire. Mais si on ne peut lâcher comme en 2008 avant la fin avril, il en faut 80 à 100 de plus. De même si l'automne ou l'été sont trop secs et qu'il faille nourrir les animaux qui n'ont plus d'herbe à pâturer . De même si les cours conduisent à retenir des animaux ou si on se retrouve dans l'incapacité de les vendre comme avec la FCO... Cela vous donne la difficulté de la prévision, le besoin de gérer des stocks ! Et il reste toujours l'année catastrophe : En 2003, il a fallu nourrir intégralement le troupeau du 1 er juillet au lâcher 2004 , soit un besoin de plus de 1000 bottes ! Impossible quand la récolte est de 260 bottes et le stock report, après le déficit 2002, de 100 bottes. J'ai donc du acheter 100 tonnes de paille et 30 tonnes d'aliments à l'extérieur en sus des achats normaux, à des prix prohibitifs puisque tout le monde était dans le même cas ! Depuis cette année là, plus celles de l'ESB, l'élevage ici est resté fragile.
J'espère ainsi vous faire toucher du doigt la difficulté du métier et en même temps la compétence des paysans qui jonglent en permanence sur des volumes de production toujours différents. Ingrat et passionnant. Seul sur ma moissonneuse, j'ai réfléchi à une définition de ma vie de paysan : Je suis tributaire de ce que me donne dame nature et je vis avec ce que me laisse les hommes ! A méditer en découvrant les marges des différents acteurs de la filière lait ou porc... Mais c'est un autre débat.