« Au nom de la terre… »
« Je n’ai pas envie d’aller voir le film, pas en ce moment. J’ai peur d’en ressortir avec le cafard… » J’ai entendu de nombreuses fois ces réflexions ces derniers temps de la part de mes collègues. Rarement un film touche autant notre monde de l’élevage. Je n’échappe pas à ce sentiment, bien au contraire…
Un ami, qui gère un cinéma, m’a un peu refroidi. « Le film fait très peu d’entrées à Paris alors qu’il cartonne en province, surtout dans les petites villes. » Je le regrette beaucoup, car il est issu d’une histoire vécue et explique très bien l’engrenage de l’endettement, de la course à la production en passant par un atelier hors-sol dans ce cas... Bref, il relate les engrenages qui conduisent aux difficultés actuelles du monde de l’élevage. Dommage que certains fassent des procès sans prendre le temps de chercher à comprendre.
Pour nous éleveurs, il nous touche directement. La plupart des scènes du film nous rappellent des situations vécues même si les contextes ne sont pas les mêmes pour chacun. Comment boucler les « fins de mois » surtout à une époque où l’argent coûtait très cher ? (Les intérêts ont atteint 13% à 14 % pour des emprunts à 20 ans lors de mon installation). Chacun se retrouve également dans les plans de production qui ne se déroulent jamais comme prévu. S'en suit la tentation de la fuite en avant et il faut bien le dire l’orgueil de vouloir paraître être le meilleur, sans admettre ses doutes et ses échecs…
Personnellement, j’ai été très touché par ce qu’a dû endurer l’épouse et les enfants. Une ferme de chez nous reste une affaire familiale qui implique tous ses membres même s’ils travaillent en dehors ou s’ils font des études. Cela amène beaucoup de réflexions. Mon précédent billet en fait état, de façon plutôt négative certes. En sortant, nous avons eu des discussions avec Mme PH. Mais il y a également des côtés positifs. Mes enfants, même s’ils n’ont pas repris, restent des enfants de paysan, attachés à la terre, à la nature ! S’ils doivent vivre en ville pour le moment, ils ont besoin de se ressourcer dans le monde rural. Mieux, en m’observant avec mon petit fils lorsqu’ils viennent en week-end, ils se demandent comment je pourrais poursuivre mon initiation à la nature, maintenant que je suis en retraite, avec les petits enfants à venir. Cela semble pour eux essentiel à transmettre !
Je suis convaincu également qu’avec mon épouse, nous leur avons transmis des valeurs profondes sur le respect du travail accompli, de l’effort, de prendre le temps, de solidarité, de patience, de respect des autres et surtout de savoir se relever quand… La nature n’est pas un long fleuve tranquille, tout comme la vie...
Pour revenir à la question de départ, faut-il ou non aller le voir quand on est concerné ? J’ai envie de répondre oui. En ces moments difficiles pour l’élevage, il n’est pas mauvais d’avoir un miroir pour s’interroger et le film permet de prendre un peu de recul pour comprendre comment nous en sommes arrivés là. Les acteurs nous renvoient à nos propres personnages. Rufus incarne la génération « patriarche » qui avait toujours raison. Guillaume Canet incarne la génération conditionnée à produire, coûte que coûte. Anthony Bajon la génération qui se cherche aujourd’hui… Il y a un peu de chacun des personnages dans le paysan du moment. La révolution verte n’est pas aboutie. On le voit avec les remises en cause sociétales de l’agriculture actuelle… Je serai tenté de dire qu’un film comme cela est un point de départ pour une réflexion de fond sur notre profession mais également pour tous ceux qui l’entourent et en vivent aujourd’hui. On ne peut nier que les choix techniques préconisés ont des conséquences énormes. Le débat de la relation au conseil et au commerce d’amont et d’aval se pose plus que jamais…
Pour l’anecdote, au cours d’un repas, la maman d’un sous-marinier m’a indiqué que son fils avait interdit à sa compagne d’aller voir le film quer je trouve remarquable « le chant du loup » ! Comme quoi, quand le cinéma est bon et très proche du vécu, il ne laisse pas indifférent…