Le retour du loup m'a fait renoncer au caractère "sans cornes" dans mon troupeau ! 2/2
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Rappelons que les animaux restent dangereux, surtout dans certaines situations. Les taureaux peuvent charger s’ils ont le sentiment qu’on va leur retirer des vaches surtout si elles sont en « chaleur ». Les vaches sont encore plus dangereuses car elles n’expriment pas toujours leur désapprobation avant d’agresser si elles estiment leur progéniture en danger… Dans tous les cas, il ne faut jamais surprendre les animaux. C’est pour cela que je leur parlais toujours dans les stabulations comme en les approchant dans les prés. Elles ont une ouïe hyper fine, reconnaissant une voix ou un son entre mille. Pour l’exemple, elles font la distinction entre deux tracteurs de même modèle, entre celui qui sert à leur donner à manger et celui du voisin qui ne fait que passer !
Reste une constante, un troupeau qui se sent en danger, se met en position de défense !(Je ne l'ai vu que 4 ou 5 fois dans ma carrière) Il forme un cercle, les veaux sont au milieu, les vaches tournent autour en courant. A chaque tour, l’une d’elle se détache et charge l’intru puis rentre dans le cercle. Sont considérés comme prédateurs les animaux qui ressemblent à un chien donc un loup initialement !!!! C’est ancré dans les gênes. C’est pour cela que j’ai toujours fait la guerre aux chasseurs et aux ramasseurs de champignons, surtout quand ces derniers ont un chien ! Au moment où la personne se baisse pour cueillir, les vaches, qui ont une vision très réduite, confondent avec le chien et assimilent la personne au prédateur ! C’est hyper dangereux et souvent incompris. Cornes ou pas, le danger reste le même. Je prends le temps de vous expliquer tout cela pour que vous compreniez ensuite mes choix de gestion génétiques.
Il y a plusieurs façons de gérer les cornes en élevage charolais. D’abord, on peut écorner très jeune, à 15 jours en brûlant le cornillon ou en mettant une pâte spéciale. Il faut contenir l’animal pour ne pas faire de fausse manœuvre, ce qui n’est pas gagné. Comme on ne connait pas la destination des animaux à cet âge, on les fait tous. C’est pour cela que je suis resté sur le second cas de figure.
Pour éviter des écornages inutiles, tous mes mâles partant en Italie où cela ne pose pas de problèmes, j’ai toujours pratiqué l’opération à 2 ans, sur les génisses avant de les mettre en reproduction et sur les taureaux après une première année de saillie. Mon objectif, vous l’avez compris est d’opérer les seuls animaux qui restent pour une troisième année et plus sur la ferme. Dans les deux choix évoqués, l’anesthésique me parait être indispensable.
Il y a une quinzaine d’années, un veau mâle est né sans cornes, une anomalie génétique qui doit se produire une fois sur ? Un million ? Je ne sais pas ! Cet animal a été le point de départ d’une sélection. Pour faire simple, on a fixé le ou les gènes sans cornes en le croisant par insémination pour ne pas perdre les autres qualités de la race. Il y a trois ans, en achetant un taureau chez un collègue, j’ai eu le choix entre un avec cornes et un sans cornes, qui avaient des qualités presqu’identiques. J’ai choisi le « avec cornes » !
Pourquoi avoir choisi de garder des animaux à cornes et donc de continuer à écorner ? J’aurai eu le choix il y a 10 ou 15 ans, avec des taureaux performants, j’aurais pris le sans cornes. Mais la société évolue et la réintroduction de l’ours dans les Pyrénées ainsi que l’encouragement au retour des loups sur tout le territoire français ont conditionné mon dernier choix. A partir du moment où la priorité est donnée au sauvage sur l’élevage, je me dois d’anticiper. Soyons clairs, si on continue dans ce sens, on aura deux choix de modes d’élevage à l’avenir, même dans ma région. Avec des loups, soit les animaux resteront dans les stabulations ou des parcs restreints toute l’année comme cela existe dans beaucoup de pays et les parcelles serviront uniquement à être fauchées pour être distribuées ensuite en ensilage. Dans ce cas, nombre de parcelles difficiles à entretenir partiront en friche ( un quart de ma ferme). Les paysages se fermeront avec une exploitation hors sol mécanisée. Soit on veut conserver le pastoralisme et que les animaux retournent pâturer en été. Dans ce second cas, une régulation stricte des populations de prédateurs sera nécessaire. On ne peut nier la chaine alimentaire naturelle !!! L’élevage utilise le premier maillon de cette chaine. Il deviendra, comme dans les hautes Alpes ou dans certaines vallées des Pyrénées le pourvoyeur privilégié en nourriture des animaux sauvages des maillons suivants. Il est plus facile d’attraper des animaux domestiques que des sangliers entre autres. De plus l’élevage propose beaucoup plus d’animaux que la nature originelle n’en proposerait donc cela favorisera le nombre de prédateurs. C’est pour cela que la population de loups s’est développée beaucoup plus vite que prévu par les spécialistes de l’espèce ! Dans les zones intermédiaires, comme la mienne, on peut envisager que le pastoralisme ne reste encore possible qu’à certaines étapes de l’élevage. Si on doit éviter d’exposer des veaux trop jeunes, on peut penser que des troupeaux avec des veaux de 3 mois et plus, soient possibles à condition que les vaches puissent défendre le troupeau comme expliqué plus haut. Les cornes redeviendront indispensables pour essayer de ralentir les prédateurs, sans garanties, sans doute mieux que des animaux "sans cornes" !
Je ne sais pas quelles seront les évolutions sociétales mais, vous l’avez compris, mon choix est fait pour laisser la possibilité aux vaches de se défendre. Si on arrête d’écorner, en 4 à 5 ans, 90 % du troupeau reproducteur serait corné. Il faudra quatre ans de plus pour transformer un élevage sans cornes en un élevage corné. Mais si on en arrive là, tous les problèmes de gestion de troupeau évoqué dans le billet précédent se reposeront. On réglera un problème en en créant de nouveaux. En fait, notre société nous envoie des messages contradictoires, par méconnaissance des règles primaires de la nature et ne prenant en compte, trop souvent, qu’un aspect du problème. Nous avons ensuite bien du mal à traduire les attentes dans les faits. Ainsi, ours et loups remettent en cause l’élevage en plein air où les animaux pâturent 8 à 9 mois par an, ce qui correspond pourtant au summum du bien-être des ruminants !
Il n’y a pas que pour cela que ces contradictions s’expriment et c’est ce qui est si déstabilisant pour le monde agricole en général. Dans la nature, rien n’est, ou tout blanc, ou tout noir, tout est compromis et adaptation.