sur la moissonneuse, souvenirs ...
Je n'évoque le passé qu'au hasard des phrases, pour mieux faire comprendre les évolutions incroyables qui ont transformé en un demi siècle notre métier ! Mais je me dis que de temps en temps, il faut que j'essaye de mettre en ordre mes souvenirs , histoire de fixer ce passé qui déjà s'estompe dans la course effrénée de notre société ...
Pour en revenir simplement à la moisson, il faut que je vous explique comment cela se passait, il y a 3 ou 4 décennies... Je reviendrai peut être un jour sur la battage, je les ai vu mais jamais pratiqué car trop jeune... Il faut que j'écrive à ce sujet mais je ne publierai qu'après avoir fait relire à ceux qui l'ont vécu !
A partir de 1964, mon père a eu une des toutes premières moissonneuse de la commune. Je m'en souviens bien, une Massey Harris ! J'ai passé des heures sur cette machine, pour le plaisir, puisque j'étais beaucoup trop jeune pour être utile... C'était une révolution puisque la machine faisait tout, c'est à dire qu'elle coupait la récolte, la battait ( Séparation du grain et de la paille ) et liait la paille en toutes petites bottes carrées à une ficelle ! Une révolution pour récolter la moisson puisque jusqu'à maintenant, fauche et battage étaient dissociés depuis la nuit des temps ! Tout résidait dans la mise à l'abri définitif de la récolte dans des temps records.
On sourirait si on mettait côte à côte la machine de l'époque à côté de la mienne ! D'un coté, 1,80 m de coupe, de l'autre 4.20 m ! Côté débit ??? Tout dépend comment on compte ? Au temps Ha, de 1 à 7 ou 8 suivant la récolte ! En nombre de personne, du 1 à 15 ! Et oui, il fallait être deux en permanence pour faire marcher la Massey Harris. Mon père conduisait sur un siège métallique sans aucun coussin ! Aucune protection ! Il y avait juste sa place une fois assis sur la microscopique plate forme d'où il dominait tout. De loin, c'était sa tête qui dépassait des épis !
Photo agriaffaires collections
A ces côtés, il avait le moteur qu'il surveillait toujours ! Je m'en souviens bien car une année, il a rendu l'âme au milieu du chantier. Echange standard ! Je me souviens qu'il avait fallu en récupérer un je ne sais où, malgré les vacances des usines, aller le chercher puis des heures pour le remonter ! Tout le monde était à cran à cause des journées perdues; une dizaine... Le mécano avait du travailler en plein champ. Il faut imaginer ; c'était des moteurs à essence. L'entraînement d'une moissonneuse exige un régime régulier et constant, or un moteur à essence n'aime pas cette monotonie... Je me souviens également des bons d'essence détaxée pour cet usage. Il fallait aller ( je crois ? ) les chercher à la perception en justifiant... Donc le moteur était le talon d'Achille de ces machines !
Photo agriaffaires collections
Côté conduite, il avait à peu près les mêmes fonctions que celles que j'ai aujourd'hui, les réglages étaient manuels et beaucoup moins sophistiqués ! En fait, les moissonneuses ont évoluées en taille, en qualité de travail mais n'ont pas changé sur les grands principes ! Amélioration mais pas révolution, sauf la machine conçue par des ingénieurs d'ici ( Montceau ) il y a 4 ou 5 ans, qui ne récoltait que les épis ! Techniquement au point, échec commercial complet ! Elle rouille aujourd'hui sur un parking. J'ai toujours un pincement de cœur en la voyant, révolution technique avortée ! Revenons à notre moisson, il avait donc les mêmes fonctions, simplement au lieu de petites manettes rapprochées donc faciles à prendre, il avait de grands leviers ou une roue pour relever la coupe... En écrivant, les souvenirs abondent : Avançant très très lentement, je vois mon père se pencher sur le côté du volant pour saisir ce levier rond et remonter la coupe à la force des bras ! C'était sportif comme conduite !
Il n' y avait pas de vraie trémie pour le grain, juste la possibilité d'attendre 2 ou 3 minutes... Un enfant habitué de la reproduction en jouet des machines modernes serait dérouté par l'absence de la vis de vidange si caractéristique de ce type d'outils ... Si, vous savez ce grand bec sur le coté gauche qui permet de décharger le grain dans une remorque ! Rien de tout cela à l'époque ! Sur le côté gauche, à 20 cm du sol se trouvait une seconde plate forme ! Il fallait un autre homme... En effet, le grain arrivait directement dans un sac de jute ! Il accrochait le sac au bas de la mini trémie puis surveillait... Il indiquait les corrections de réglage si la grain n'était pas propre et relevait régulièrement le sac pour bien le remplir ! A cette époque, mon père avait déjà abandonné les "bâches" de 100 kg pour celles de 80 kg. Beaucoup plus modestes ! Donc, le préposé grain surveillait son sac ! Sur la rampe de la plate forme, il avait toujours un sac vide disponible ! Dès que le sac était plein, il le déplaçait sur le côté et remettait le plus vite possible le sac vide en place, avant que la machine ne soit engorgée ! Ensuite, il attachait le sac avec une ficelle en sisal récupérée l'hiver sur les bottes de foin de la saison précédente ! Rien ne se perdait ! Arrivé en bout de champ, il faisait basculer le sac plein au sol sur le côté de la machine, de façon à ce que cela ne gêne pas la manœuvre au tour suivant ! Tout cela sans s'arrêter pour éviter toute perte de temps ! Ensuite, il courait chercher le nombre de sacs vides nécessaires pour refaire un tour... C'est sur cette plate forme pouvant contenir 2 sacs qui je me tenais tout le temps !
Pour compléter le tableau , 2 ou 3 autres hommes chargeaient les bottes de paille en suivant ! Ainsi, au fil de la journée, les chars de paille étaient emmenés dans la cour de ferme ! Le soir ou en fin de parcelle, on prenait la remorque pour récupérer les sacs ! On prenait un gros gourdin ( je ne me souviens plus du nom, je vais demander...). On saisissait à deux le haut du sac, on passait le bâton dessous et on le hissait sur la remorque ! Un troisième homme le transportait à l'avant pour le mettre en place avec un diable. On pouvait même en gerber à plat pour un second rang. Une fois à la ferme, généralement le matin à la fraîche, on déchargeait ! La paille d'abord, très tôt le matin pour se mettre en train... Le grain ensuite. Les sacs étaient portés à dos d'homme ( 80 kg ) sur le grenier pour être vidés ! C'est sur le grenier des maisons qu'il était stocké ! Servant d'isolant pendant une partie de l'hiver, entretenant également une horde de rats et souris ! En aménageant ma maison, nous avons découvert un magnifique plafond à la française... Complètement rempli de grain mangé, de carcasses de rats, et autres déjections sympathiques... Symbiose...
Ainsi s'accomplissait cette moisson qui durait jusqu'après le 15 août, à raison d'un ha et demi par jour, 2 très exceptionnellement ! Pour être complet, on cultivait des céréales d'hiver à récolter en premier et des céréales de printemps plus tardives ! Plus logique pour une récolte moins rapide ! Orge d'hiver en premier, blé ensuite ( On n'avait pas encore le triticale et on avait abandonné le seigle trop dur à moissonner !) avoine , mélange et orge de printemps ensuite... Aujourd'hui, je ne fais que des cultures d'hiver, pour un rendement plus régulier et pour ne pas laisser de terrains nus, donc vulnérables, l'hiver ! Mais ce sont les moyens mécaniques qui le permettent ! Comme quoi , le progrès n'a pas que des défauts !
Beaucoup plus physique, vraiment inconfortable, plus personne n'accepterait de " donner la main " pour ce type de travail ! Pourtant, il y avait des moments de bonheur ! Les goûters d'abord, j'y reviendrais ! La chasse au lapin ensuite...
Il y a prescription depuis tant de temps ! Je ne me suis pas appesantit hier sur les lapins qui ont la particularité de rester jusqu'au dernier tour dans la coupe. Donc, au moment de la dernière pointe, tout le monde sauf mon père sur la machine quittait son poste. Il indiquait du doigt les mouvements des tiges devant lui. Nous étions tous répartis autour du reste de la coupe ! Lorsque les lapins sortaient, nous courions derrière, qui à mains nus, qui avec une fourche... Dans les faits, nous ne les attrapions jamais sauf... Si ils se cachaient sous un andain de paille. La seule façon était de plonger à l'endroit de sa disparition comme des rugbymans ! Et il est arrivé une fois ou l'autre de se retrouver avec un lapin dans les bras ! Vous allez me dire que c’est du braco... Je sais ! Mais pour une prise tous les 2 ans, que de joies et de courses et surtout de fous rires... Alors les règlements, les lois étaient bien loin, et finalement, ces instants de décompression et de liberté étaient des moments indispensables pour donner un peu de saveur à un travail bien pénible... Je crois que les gardes chasse le savaient et qu'ils n'auraient jamais rien fait pour surveiller cela ...
Rien n'est plus triste qu'une vie ordonnée à outrance de façon réglementaire ! A méditer en ces temps où l'on cumule les lois et les normes absurdes pour de prétendues précautions... Dans la nature, le hasard reste le maître mot !
Et que de souvenirs !