Pétrodollars, l'envers du décor...
Il est 5 h 45 du matin, notre avion doit décoller dans moins de 2 heures... Peu de monde dans la rue à cette heure-ci, mais 5 ou 6 taxis tournent au carrefour. Nous avons décidé au dernier moment de privilégier ce mode de transport à la navette proposée par l'hôtel. Elle part plus tard et nous risquons d'être trop justes pour l'embarquement... Je ne sais quelle voiture choisir, je prend celle qui est garée directement au bas des marches. Les regards des autres chauffeurs sont sans équivoques : ils sont déçus !!!
Dans la voiture, je demande à Mme PH, la seule capable de parler anglais couramment, de demander au chauffeur si son travail se termine ou commence ? Nous sommes sur l'autoroute qui mène à l'aéroport, le jour se lève, la chaleur se fait déjà sentir ! Le fog ne s'est pas dissipé pendant la nuit, il dépose une brume tenace enveloppant les gratte-ciel au loin , rendant les silhouettes fantasmatiques !
" Vous êtes mes derniers clients ! ". A nouveau, je demande à Mme PH de le questionner sur ses horaires de travail , la réponse fait froid dans le dos : " Cela fait 12 heures que j'ai pris la voiture ! " Voulant ajouter un mot sympa, Mme PH lui dit " Vous allez être content d'aller au lit, c'est bien mérité ! " Je ne comprends pas la réponse en anglais, j'entends juste Mme PH dire " Sorry !" . Le chauffeur ajoute ensuite quelques mots :" Allah is great !" Je me retourne vers l'arrière de la voiture, un peu inquiet : " Un problème, ma chérie ?" " Oui, il m'a répondu qu'il n'avait pas de lit ! " Nous n'oserons plus poser de questions, pourtant il y aurait tant à savoir pour comprendre...
En choisissant la destination, nous pouvions avoir 2 approches de ce voyage peu banal !
D'un côté, le côté bling-bling , le sensationnel à chaque coin de rue ! Voyage d'étrangers qui veulent profiter d'une destination à la mode des riches de ce monde ! Plongée dans un monde de paillettes, créé de toute pièce en 39 ans . La ville est arrachée au sable, dans une frénésie inconcevable de constructions, toutes plus hautes les unes que les autres ! Tout est au superlatif ! Tout est neuf ! A peine achevé, déjà la grue se déplace de quelques mètres pour recommencer ! On a l'impression d'une ruche frénétique courant après le temps , l'espace... Fascinant, inquiétant également !
De l'autre côté, un envers du décor qui pose beaucoup de questions ! De l'argent à profusion ! L'argent du pétrole, investit de façon pour le moins surprenante ! Nous sommes dans le golfe persique !
" Mais qu'est ce que vous allez voir là bas ? " Combien de fois avons nous entendu ces mots aux quelques rares personnes à qui nous avons parlé de ce périple ! "A part quelques milliardaires... C'est du sable, il n'y a rien ! " Maintenant, je peux répondre à cette question. Rarement un voyage nous aura autant amené de questions, de débats, de discussions entre nous. Comme avec les très rares français rencontrés sur place ! Pour un tel voyage, on peut choisir de profiter de la plage et des 39° à l'ombre, des centres commerciaux climatisés et des hôtels de luxe ! On peut aussi tenter de s' immerger, de comprendre, de visiter... Nous ne sommes pas journalistes d'investigation. Mais en 5 jours sur place , nous avons eu largement le temps de comprendre !
18 % de la population est autochtone ! 82 % sont des travailleurs étrangers ! Ici, sans travail au bout de 2 mois, on est prié de repartir dans le pays d'origine ! L'imigration n'est pas possible, le rapprochement famillial même pas imaginé sauf lorsque les émigrés travaillent tous les deux, mais avec toujours cette épée de Damocles au dessus de la tête. Les chauffeurs de taxi viennent du Pakistan presque voisin ! Les guides sont jordaniens, palestiniens, japonnais ou indous... Il est difficile de briser la loi du silence, sans doute la crainte de perdre le job ! Nous y parviendrons trois fois à l'issue de longues journées de visites, très tard le soir en rentrant à l'hotel qui n'était pas un palace ! Un jordanien auquel nous demandions comment marche cette société nous mit sur la piste : " A 62 ans, on me donnera un petit capital et je serai prié de retourner dans mon pays ! J'y retourne déjà un mois tous les ans, pendant l'été où avec plus de 50° , il n'y a plus de touristes ! J'ai la chance d'avoir un bon boulot, je touche plus que la moyenne mais la vie est très chère ici, le logement me coûte plus des deux tiers de mon salaire, difficile de mettre de l'argent de côté ! ..." Il nous vante ensuite l'intérêt qu'il porte sur ce pays qui le fait vivre et lui donne du travail ! A tel point qu'à un moment , nous lui demandons ; " Êtes vous heureux ? " Le cri du coeur est " No " puis il se reprend et rentre dans une explication plus conforme à la ligne politique... Mais nous avons compris !
C'est finalement avec le guide japonais , plus libre, que nous en apprendrons le plus ! " Une femme qui se marie avec un dubaïote prend la nationalité de Dubaî, une femme dubaîote qui se marie avec un étranger perd sa nationalité et prend celle de son mari ! Les enfants nés dans les émirats ont la nationalité des parents ! " C'est clair et sans appel !
Tous les bons emplois sont protégés et réservés aux dubaïotes ! Bien sûr , ils emploient des ingénieurs ou des spécialistes étrangers, à la demande, de façon ponctuelle et ils leur interdisent de s'installer définitivement ! " Très vite nous percevons une hyper protection des vrais dubaïotes vis à vis des étrangers ! Les étrangers doivent être des mercenaires qui une fois le travail accompli doivent retourner d'où ils viennent. Cela va très loin puisque les étrangers ou les sociétés étrangères qui investissent ici ne deviennent pas propriétaires mais peuvent seulement profiter des biens pendant 99 ans maximum ! Ensuite retour au président ( c'est à dire à l' émir )!" . Pas d'élections, pas de droits civiques, au moindre problème, c'est la porte ! Donc il n'y a pas ou peu de délinquance...
Les femmes locales sont voilées ! On sent vraiment le mépris pour la gente féminine. Par exemple, Mme PH gère nos voyages, et je suis... De plus, c'est elle qui parle anglais ! Si elle s'adressait directement aux agences pour confirmer une visite ou autre, ou tout simplement à l'acceuil de l'hôtel, on la faisait attendre ou carrément on ne lui répondait pas ! Si c'est moi qui demandait en me servant d'elle comme interprête, j'avais une réponse immédiate ! Par contre, il y a tellement de femmes venues de pays asiatiques que les tenues féminines dans les rues ou les magasins sont variées tout en restant respectueuses : Epaules et jambes couvertes !
Nous n'avons pas pu approcher les gens qui construisent les buldings ! 200 € par mois pour 12 heures de travail , 6 jours sur 7 ! Logés , nourris, transportés gratuitement mais pas dans des cars climatisés ! A quelques dizaines de mètres de l'hôtel en marchant, j'ai vu des containers qui devaient servir de logement, au pied des immeubles en construction ! Le seul élément de confort était un climatiseur sur le côté : Imaginez la vie à l'intérieur de cette cage de fer par 50° en été ! Mais nous étions sortis des standards, un touriste doit prendre un taxi , quelle idée de marcher par 39° dans les rues ! Toutefois, on ne nous a pas interdit ou limité nos possibilités de mouvements. C'est vrai que celui qui ne veut pas voir ce côté des choses n'est pas importuné au contraire de ce que l'on voit dans certains pays pauvres !
Je pourrais prolonger mes explications... Mais est ce nécessaire ? Au fur et à mesure que nous découvrions l'envers du décor, nous parlions de plus en plus avec PH fils ! Nous ne nous rendons pas compte de notre chance de vivre dans un pays libre ! C'est ce que nous envient le plus les gens que nous avons rencontrés ! Ce regard sur une autre société met en perspective nos propres valeurs, nos libertés, nos avantages sociaux mérités... D' un seul coup, la retraite par répartition ou la sécurité sociale par exemple trouvent une autre importance ! D' un seul coup, certains de nos problèmes deviennent bien relatifs... Vous ne m'empêcherez pas de penser que tous ces gens qui ont cotoyé la richesse dans ce pays aient plutôt envie de se tourner vers l'Europe ensuite plutôt que de retourner au Pakistan ou aux Philippines . C'est d'abord cela la vraie richesse d'un voyage comme celui-ci, de percevoir ce qu'on ne nous dit pas ! Vous comprendrez que je ne me sois pas précipité sur ma plume, que j'ai hésité avant d'en parler !
Nous sommes rentrés le 30, la veille du 1 er mai et de son cortège de réclamations ! Pour fondées que soient celles-ci, il est important que nous nous interrogions sur la meilleure façon de protéger nos acquis tout autant que d'en gagner de nouveaux ! En effet, suite à la flambée des cours du pétrole, les émirats ont un tas d'or à faire fructifier ! Ils ont donc investis dans nos banques aux moments difficiles, dans notre industrie... ! Mieux vaut savoir que leur standards et leur modèles de gestion , en particulier sociaux, ne sont pas les nôtres ! Un homme averti en vaut deux, dit-on !