le paradis des vaches 1
Une rencontre, un livre, un film peuvent nous faire prendre conscience de nos faiblesses ou de nos atouts personnels. Ou tout simplement rendre un objectif de vie très clair. Il en va de même professionnellement. On peut écouter et se laisser influencer par les discours, les arguments commerciaux ou techniques. On peut s’ancrer dans nos propres certitudes et refuser de voir ce qu’il nous faut changer dans notre approche ! Il faut dire que nous sommes de plus en plus confrontés à un adversaire invisible, puisque nos produits sont en concurrence directe avec des produits de l’autre bout du monde dont nous ne connaissons pas les conditions de production. En vivant, de grès ou de force, la mondialisation des échanges de denrées agricoles, nous avons l’impression que nos repères nous échappent. On peut le percevoir comme un défi impossible à relever, une concurrence déloyale ou comme une opportunité. Dans cette dernière hypothèse, il faut tenter de comprendre ce qui se passe chez nos concurrents pour nous positionner sur les bons créneaux …
J’ai, depuis plusieurs années, envie d’écrire cette série de billets. Parmi tous les sujets abordés ici depuis 7 ans, il me parait l’un des plus importants. Pour cela, il faut quitter le quotidien, laisser de côté nos certitudes et regarder une autre réalité en face pour ensuite dégager ce qui devrait être des voies possibles pour l’avenir de nos productions. Mais seul, je ne peux rien, le défi est de faire partager cette réflexion ! Comment ?
Tout m’est apparu clairement au cours du seul voyage d’étude auquel j’ai eu la chance de participer.
Mai 2000, nous sillonnons, pendant 15 jours, les USA agricoles. Après avoir écouté pendant trois jours des hommes politiques et des experts de l’agriculture américaines, après avoir compris que les décisions de la politique agricole américaine se prennent au congrès et non à la maison blanche, nous avons plongé dans le middle-west profond. Déjà, nous avons perçu une autre dimension des productions. Une première visite d’un élevage charolais de 10 000 têtes, naisseur-engraisseur dans l’Illilois m’avait laissé songeur. Peu ou pas de bâtiments, des animaux conduits en plein air intégral et une génétique plus performante que celle des limousines françaises en terme de qualités maternelles, en particulier en ce qui concerne les facilités de naissance. Pourtant, au final, des animaux finis qui ne étaient pas les "portes manteaux" de la période d'élevage, merci les hormones…
Nous nous sommes ensuite encore plus enfoncés dans l’Amérique profonde : Des Moines dans l’ Iowa difficile de trouver plus loin de tout. Mais là-bas, profond ne veut pas dire perdu puisque l’université de cet état, Ames, dispense des cours par Internet, avec des webcams, permettant aux farmers du continent de se former en continu depuis chez eux. « Ils se connectent souvent le soir ou la nuit, les jours de pluie ou de neige, depuis tout le pays… ». Bref, une volonté de mettre la formation continue à la portée de ceux auxquels elle est destinée, compatible avec leurs contraintes de travail.
Je retiens de ce passage au centre des USA, des agriculteurs sûrs de la supériorité de leur mode d’exploitation, utilisant les plantes OGM «que l’on mélange avec les non-OGM pour les imposer au monde entier » ou les hormones pour produire au maximum. Très à l’aise avec les subventions, ils considéraient, à juste titre, qu’ils constituaient un des piliers économique de leur pays et ils en étaient très fiers.
L’étape suivante nous a conduits en Californie, à San Francisco, ville autour de laquelle nous avons rayonnés ! Première journée en Napa vallée, normal puisque nous étions un groupe de paysans venant de toutes les régions de France. Que retenir ici, sinon que la cave visitée faisait un quart de son chiffre d’affaire en produits dérivés évoquant le vin ! Une production agricole non aidée trouve donc des ressources insoupçonnées avec l’image qu’elle peut véhiculer et dont elle est porteuse. Je me souviens vaguement du prix des bouteilles vendues au même niveau que nos grands crus. J’en étais ressorti avec la conviction qu’un produit agricole pouvait être porteur d’autre chose que la simple valeur alimentaire. Le marketing, à condition de ne pas tricher sur le produit, peut être profitable à une production haut de gamme. L’après- midi, j’avais été scotché par la visite chez un arboriculteur. Entre autre, 600 ha de cassis, conduits en bio « car le marché asiatique le demande ». Décidément, les californiens n’avaient rien à voir avec les gens du middle-west. Aussi innovants, voir aussi sûrs d’eux, mais attentifs à ce que font leurs concurrents, à leur marché donc à l’attente des consommateurs.
J’avais donc plongé dans un autre monde, où tout est à la taille du continent, conquis sur les indiens, donc apparemment sans limites quand on se compare à nos régions ! C’est le surlendemain que j’allais vivre un vrai choc qui allait bouleverser ma façon de voir ma production...