Les morceaux du boucher..
Imaginez que la Bourgogne viticole abandonne toutes ses appellations d'origine contrôlée pour ne plus avoir que 3 vins : Bourgogne, bourgogne Hautes côtes et côtes de Bourgogne par exemple ! Finis les grands crus, les crus, les crus régionaux, les régions ( nuits, beaunes, chalonnais, mâconnais, chablis)... ! Finis la personnalisation des bouteilles par parcelle, par viticulteur, par climat, par année... Facile à mettre en place dans les rayons des grandes surfaces, on limiterait les linéaires. Les prix seraient tassés au maximum puisque les volumes de négociation seraient élargis. Rapidement, la qualité disparaîtrait au profit d'un produit standard, mis en concurrence avec d'autres produits industrialisés... A terme, le vin français se réduirait à quelques standards mondialisés perdant toutes ses références propres. Les linéaires des grandes surfaces se réduirait à peau de chagrin, mais le sentiment d'avoir mis tous les vins à la portée de toutes les bourses porterait aux nues les défenseurs du prix "toujours le plus bas" ! Vins_de_Bourgogne
Inconcevable, hérésie économique, suicide collectif ! On n'imagine pas que cela puisse se mettre en place. En 30 ans, les linéaires "caves" des grandes surfaces ont explosé. Aucune d'entre elles ne peut imaginer ne proposer qu'une gamme de "grand ordinaire". Il semble indispensable, même dans le hard discount, d'avoir des bouteilles dont le prix aille de 1 à 10 voir parfois beaucoup plus. Le client doit trouver ce qu'il cherche et chacun doit être satisfait en sortant du magasin : le B.A. ba du commerce...
Pourtant, ce schéma apocalyptique est celui que le ministre de l'agriculture, celui de l'économie et l'interprofession bovine ont décidé de mettre en place. "Il faut simplifier. La dénomination des morceaux est trop compliquée pour les jeunes générations de consommateurs..." A grand renfort de communication, cet été, on a annoncé une révolution de l'étiquetage en grande surface. Dorénavant, la viande en barquette sera classée de 1 à 3 étoiles ! Finis les noms des morceaux ! Au moins, tout sera simple, beaucoup plus rapide à étiqueter en usine de découpe et plus rapide à mettre en rayon ! Cerise sur le gâteau, les consommateurs, un peu plus exigeants actuellement, trouveront toujours en rayon un beefsteak par exemple, puisqu'ils ne pourront plus s'attacher à un ou des morceaux précis ! Oubliez le pot au feu, qui nécessite plusieurs morceaux très différents, tous 1 étoile à l'avenir...
Bien sûr, on garde quelques noms des morceaux les plus connus du grand public. En réalité, nos dirigeants avec un brin de réalisme se sont dit qu'il serait tout de même idiot de vendre du filet au prix du tende quand aujourd'hui le premier vaut deux fois le prix du second ! Pour le reste, cette simplification va avoir de multiples avantages. Un filet d'une vache laitière de réforme va avoir autant d'étoiles que celui d'une génisse de race allaitante élevée à l'herbe ! Demain, le filet d'un bouvillon hormoné provenant d'un feed-lot américain aura ses 3 étoiles de la même façon ! On ne manquera plus. Cela permettra de faire baisser les prix en mettant en concurrence des viandes venant de tous les modes d'élevage, de tous les continents...
Quelles conséquences pour nous éleveurs ?
Heureusement il reste quelques vrais bouchers, trop peu nombreux malheureusement ! Dernier rempart face à l'absurbe ?
J'ai pris le temps avant de commenter cette mesure. Pas facile d'en mesurer l'impact. Nos tête pensantes ont dû faire des études de marché, des simulations de comportement des consommateurs... J'ai écouté aussi, et c'est lors d'un débat que j'animais, il y a peu, que je me suis conforté à la remarque de chercheurs ( Ethnologues et historien de l'élevage) de l'absurdité de la mesure et que j'ose en parler. C'est le lobby de l'industrialisation et du grand commerce de la viande qui a imposé sa conception des choses, avec la bénédiction peu compréhensible d'une association de consommateurs. On dit que 50 % des viandes sont aujourd'hui hachées pour faire d'abord des hamburgers, des lasagnes, des parmentiers et autres produits au goût banalisé quand il existe, rehaussé de sauces masquant son absence. Restait donc à banaliser au maximum les 50 % non hachés pour simplifier les découpes, la logistique, les approvisionnements...
Depuis des semaines, les cours des animaux baissent. Le prix des meilleurs animaux suit la chute de celui des plus mauvais. A quoi sert il de produire bien et bon quand le médiocre sert de référence à la filière ? " Le consommateur n'a plus d'argent... Il faut jouer sur le prix !" Mais expliquez moi, à moi qui fait mes courses, pourquoi les prix à l' étal n'ont pas bougé ? Au motif de défendre les intérêts du consommateur, n'est on pas tout simplement en train de conforter les marges intermédiaires (La différence entre prix d'achat et prix de vente défalquée des charges), y compris celles de la grande distribution qui se rattrape ici sur ce qu'elle perd sur les produits manufacturés importés dont le prix monte avec la baisse de l'euro et d'autres facteurs intervenants dans les pays émergeants ? Simple question !
La conséquence est évidente à terme. Seule la production de masse survivra! Dans ce schéma, on sera perdant car elle sera impossible, à cause des normes, dans notre pays... Je reviendrai sur ce fameux débat et ce qu'il faut en tirer. En attendant je vous propose un petit exercice de style pour vous montrer l'absurdité du schéma choisi : Achetez deux "morceaux du boucher" différents d'un même animal et faites les griller sur deux poêles ! Goûtez ensuite chacun des morceaux ( araignée et bavette d'aloyau en photos) comme je l'ai fait avec Mme PH ! Et dites moi, si vous mangez la même chose ? La gastronomie, l'expérience des bouchers, les modes d'élevage, les races appartiennent à notre culture, notre civilisation... Doit on tout abandonner pour le seul profit immédiat à court terme ? L'éducation culinaire doit elle s'arrêter au hamburger d'origine américaine ?
Si je n'avais pas reçu des délégations étrangères, un peu voyagé et compris que la gastronomie française est aux yeux du monde ce qu' est la qualité industrielle allemande, je baisserai les bras et me tairai ! Quelques fois, on se dit qu'à Paris (dans les ministères), certains sont devenus aveugles, déconnectés, ce qui les rend fous !