Samedi noir
Alors que la nature démontrait qu'elle reste la plus forte sur les routes des Alpes, elle me rappelait à l'ordre assez durement. Je ne peux pas me permettre de m'arrêter de travailler, ne serait ce qu'une journée, en hiver. Les animaux ont besoin de manger, d'être paillé et surtout, en cette période de naissance, nécessitent une surveillance de chaque instant. Je me fais donc vacciner contre la grippe et je fais attention. Pourtant, est ce l'effet moindre du vaccin cette année ou une discussion en plein courant d'air vendredi soir ? Toujours est il que samedi, j'avais la crève !
La fatigue l'emporte à cette saison. J'ai donc commencé mon boulot comme chaque jour. Je ressemble de plus en plus à mon vieux tracteur diesel, lent à démarrer. Par contre, une fois parti, cela va mieux. Il en a été ainsi samedi, avec peut être, un temps de chauffe un peu plus long que d'habitude. Mais l'heure suivante a été de plus en plus éprouvante. Courbatu et abattu, des douleurs partout, j'ai été obligé de faire une longue pose bien plus tôt que d'habitude. La suite de la journée a été longue, très longue.. Impossible d'accélérer pour retrouver un rythme normal. J'ai modifié ma façon de travailler pour répartir sur la journée ce que je fais en 3 heures en temps normal, alternant travail et pause canapé. Bien sûr, c'est cette journée là que sont arrivées les surprises de mes animaux. Il n'y a pas d'alertes orange dans le troupeau, mais il faut toujours être prêt à toutes les éventualités. J'ai été servi.
Je me suis couché très très tôt, en m'interrogeant sur cette organisation du travail et cette exigence économique de notre métier, qui sous prétexte de performance nous pousse à aller au bout de nous même et même parfois plus... J'arrive tout juste à sortir les 1200 € mensuels (cela fait 15 ans que la somme n'a pas évoluée) de la ferme. Alors, envisager un emploi, même partiel, nécessitant du travail de nuit ou de week-end, est tout simplement impossible! Que ce passerait il financièrement sur la ferme si je devais être hospitalisé ? J'ai bien une assurance volontaire qui coûte très cher, qui vient s'ajouter aux 20 ou 30 € journaliers, que nous verse à grand renfort de publicité de progrès social, la MSA! Mais cette assurance "privée" est considérée comme une rente financière et est ponctionnée de la CSG et les RDS, ce qui la minore d'autant. Et je ne parle pas des délais de versement... Autant dire, que me remplacer serait terriblement compliqué. Résultat, là où n'importe qui aurait raisonnablement passé la journée au repos et au chaud, il m'a fallu tenir coûte que coûte. Comme mes collègues, à cette saison, je n'ai pas le choix ! C'est même connu dans le milieu médical rural :"ils sont impossibles à soigner en hiver!"
Dimanche matin, cela allait déjà mieux même si ce n'était pas parfait. Mais malgré deux réveils pendant la nuit, j'ai découvert pour la première fois de cette saison de vêlage, un veau mort à la naissance. La doyenne ne voulait pas que je me mêle de l'affaire et n'a rien laissé transparaître sous la caméra. Mais le veau est resté dans la poche... Dure réalité, tandis qu'au salon de l'agriculture, les discours nous choient beaucoup. Je suis certain que mes pairs partageront mon avis. Nous préférerions que cette reconnaissance se traduise dans nos revenus de façon à ce que nous puissions avoir une vie plus normale ! Les discours, les promesses... Une fois par an !