pas d'arrêt de travail...
Je ne pensais pas à priori parler de
mes soucis personnels ici. Mais, si je veux retracer les problèmes
et la vie d'un paysan aujourd'hui, comment faire l'impasse sur le
sujet ? Je n'ai aucune envie de me faire plaindre, juste de témoigner
de la réalité avec parfois des choses dont on ne parle jamais et
qui posent de réels problèmes ! D'autres professions indépendantes
souffrent des mêmes soucis, d'où ce témoignage...
Depuis 2
ou 3 ans, ( je n'aime pas trop m'étendre sur les problèmes de
santé) j'avais de plus en plus souvent des picotements dans les 2
bras, tellement gênants que dans les période de grande fatigue
comme en fin d'hiver, ils m'empêchaient de dormir ! Il y a 2 ans,
Mme PH a réussi à me convaincre de ne plus accepter la douleur
comme une conséquence de l' âge et de consulter... Le spécialiste sollicité fit très rapidement le diagnostic, qu' il fit confirmer par
un spécialiste du CHU de Dijon ! Les canaux carpiens de mes 2
bras sont trop étroits et empêchent le bon fonctionnement des
nerfs. Les tests avec des impulsions électriques à différents
niveaux du bras dont on mesure l'effet au bout des doigts sont
particulièrement intéressants ( Genre clôture électrique, sourire
). Le diagnostic établit, la conséquence devint simple et claire :
" Il faut opérer avant que les nerfs soient altérés !"
Envisager une opération chez un paysan n'est pas chose aisée
, tous mes amis médecins vous le diront ! A quelle période le faire
pour que cela gêne le moins possible dans les travaux ? Avec en
arrière plan, toujours la même incertitude sur la bonne période
météo ou de travail ! Les hivers sont exclus, pas question de
laisser le troupeau ! Les printemps sont délicats entre le début où
on n'est pas sûr des dates de lâcher ou ensuite des dates de
récoltes. L'été, pas plus si ce n'est la 2 ème quinzaine d'aout !
J'ai même envisagé la chose suivante : Me faire opérer du premier
bras juste avant les vacances et du second juste au retour ! Mais
c'était sans compter sur deux choses : Au mois d' août, tout est au
ralenti y compris en chirurgie... Et en évoquant cela, la moue de
Mme PH qui se voyait en vacances avec un handicapé m'ont dissuadé !
Heureusement car je n'aurai pas pu assumer tout ce que j'ai du faire
pour ces dites vacances...
Après 2 années de report et de
tergiversations, mon choix s'arrêta pour ce mois de septembre ! Le
chirurgien me parla d'opérations bénignes aujourd'hui, effectuées
par endoscopie... Tout alla bien tant que nous parlâmes de
techniques opératoires. Mais vint inévitablement la question des
jours suivants... Lui parlait douleur et rééducation, ma seule
préoccupation était celle de ma durée d'immobilisation. Il faut
que vous sachiez une chose simple : Nous n'avons pas d'indemnités
journalières versées par notre organisme sociale ( MSA ) !
Donc, il nous faut assumer seul les arrêts maladies ou prendre une
assurance volontaire par ailleurs très chère... Avec ces années de
crise, nous sommes très nombreux à faire l'impasse partielle ou
totale. En terme clair, si je veux m'arrêter, je dois payer un
remplaçant si j'en trouve un... Et les services de remplacement ne
viennent que 5 jours par semaine, de 8 h à midi et de 14 à 17 h...
Valable pour un travail normal, insuffisant pour un éleveur qui est
condamné à la débrouille avec les voisins. Autant dire qu'on
réserve cela aux cas très graves.
Donc, devant être opéré
des 2 bras avec un arrêt théorique d'au moins 15 jours à chaque
intervention, je cherchais à comprendre combien de jours je serai
réellement stoppé et quels risques je pouvais prendre... La réalité
est celle-ci : Lorsque le chirurgien me proposa un arrêt de travail
avant hier, je l'ai refusé ! Car si je l'avais accepté, j'aurai
perdu ma protection assurance accident. Les choses sont simples et ce
n'est pas la première fois que je le décris aux assurances qui sont
sourdes ! Seul sur mon exploitation, je ne peux trouver personne qui,
pendant un mois, soit disponible 24 h sur 24 h ! Je dois donc, en cas
de besoin, pouvoir intervenir ne serait ce que pour guider des gens
valides, étrangers à la ferme... Mais avec les animaux, on ne peut jamais exclure un
mauvais coup ou autre problème. Avant, on avait la possibilité d'un
arrêt à 50% ! Je l'ai utilisé jeune ! L'avantage était que l'on
pouvait payer quelqu'un quelques heures pour éviter les tâches les
plus dures et sales et assumer la surveillance. Mais il y a une
dizaine d'années, des esprits super intelligents ont décrété que
soit on était valide soit on ne l'était pas ! Un médecin de la
MSA m'a même fait tout un discours... J'en ai conclu que tant que je
pouvais tenir debout et bouger, je ne devais pas m'arrêter ! Et j'ai
rogné sérieusement le paiement d' une assurance volontaire qui
entre les journées de carence et cette affaire là, avec un coût
plutôt exorbitant, ne pouvait dans la majorité des cas pas
servir... Un agriculteur ne peut pas être malade, c'est : "marche
ou crève !"
Donc depuis 2 jours, je travaille aux grands
cris de Mme PH ou de mes amis... Je suis déjà remonté sur le
tracteur, j'ai déjà trouvé des astuces pour porter les sceaux, et
je fais des paperasses... Je suis prudent mais je pense que dès
lundi, je pourrai à nouveau progressivement travailler sur les
tracteurs toute la journée ! Par contre, je suis ennuyé car je ne
peux pas toucher aux animaux, en particulier fouiller ou traiter
par risque de souiller les cicatrices...Je me méfie des risques
d'infections, les gants ne suffisent pas...
Ainsi, quand
certains crient haut et fort que nous ne payons pas à sa vraie
valeur notre protection sociale, je réponds simplement que nous
payons déjà plus cher en proportion que les salariés car nous
n'avons pas les mêmes garanties ! Pas d'arrêts maladie, pas
d'assurances chômage, une retraite... Une assurance accident
volontaire obligatoire sans indemnités journalières... Un jour dans
une réunion à Paris, une vive discussion s'engagea entre nous à ce
propos. Un collègue picard ( pas un "gros" ! )avait fait un calcul qui a fait réagir
tout le monde : Voulant donner un statut social mérité à sa femme
qui travaillait avec lui, il avait le choix entre la déclarer
exploitante avec lui ou salariée. En prenant les 5 dernières années
sur sa ferme, en calculant la retraite et en tenant compte de tout,
il arrivait à un surcoût de plus de 20 % pour le statut
d'exploitante... Il l'a mis salariée. Mais pour tout le monde, les
paysans ne paient pas assez de cotisations !
En effet, le
régime agricole est en déficit et est compensé partiellement par
les régimes généraux ! Logique puisque le nombre d'agriculteurs a
été divisé par 10 ou plus depuis la guerre ! On est depuis des
décennies à une installation pour 3 à 5 départs minimum suivant
les périodes. Celui qui reste ne peut payer pour 3 ou 4 retraités,
les autres enfants cotisant dans des régimes différents. Du coup
les retraites sont dérisoires et comme le régime maladie est
toujours négatif, que l'on ne peut pas demander encore plus à ceux
qui sont actifs. On les prive donc de certains avantages ...
Je travaillerai avec un bandage, après avoir pu choisir ma période d'opération et en espérant qu'il ne m'arrive pas de pépins les prochains hivers ! Inutile de vous dire, par exemple, que je me fais régulièrement vacciner contre la grippe ! Travailler avec 40 ° de fièvre n'est pas le pied. Je sais, j'ai déjà donné ! Et pour H1N1, nous ne serons pas prioritaires... A nous d'assumer !